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Jacques Parizeau

PM

Le premier ministre

 Élection québécoise du 12 septembre 1994 

Éric Bédard se souvient de « la tournée à vélo du Comité national des jeunes du Parti québécois […] lancée le 21 juin à Montréal, en présence de candidats et de députés venus nous encourager. M. Parizeau était également de la partie. Pour le plus grand plaisir des photographes et des caricaturistes, il a vacillé quelques mètres sur un vélo de fortune emprunté à je ne sais qui. Toute l’équipe était fin prête. Nous avions fait faire des t-shirts et une grande banderole ; chaque personnalité rencontrée signait un livre d’or. […] Durant une journée type, nous parcourions de soixante à cent kilomètres. Arrivés à notre destination, nous étions accueillis par nos représentants jeunes de la région ainsi que par le candidat ou le député de la circonscription. Le porte-parole (c’était souvent moi) expliquait à la presse locale les objectifs politiques et symboliques de cette tournée. Nous voulions bien sûr rencontrer les jeunes “du terrain”, les écouter et expliquer notre programme, mais aussi montrer toute notre détermination à faire le Pays. […] Ces points de presse étaient suivis de visites de maisons de jeunes et de groupes communautaires. »

Éric Bédard relate que « la campagne électorale fut déclenchée en plein été par le premier ministre libéral Daniel Johnson. “L’autre façon de gouverner” : tel était le slogan des péquistes en vue des élections de septembre. Une diversion par rapport à l’objectif numéro un du parti, s’indignèrent les libéraux. Même si le Québec de Jacques Parizeau devait rapidement devenir souverain — il promettait clairement de tenir un référendum le plus tôt possible —, ce slogan restait fidèle à la ligne Lévesque du “bon gouvernement”. Les stratèges avaient évalué que, pour obtenir les clés du pouvoir “provincial”, il fallait d’abord faire porter la campagne sur le bilan des libéraux. »

Manteau arborant le slogan électoral du Parti Québécois. 1994.

Collection Daniel Paillé

Alain Lavigne soumet que le « PQ débute la campagne avec un plan de match très clair : les messages viseront à exploiter l’insatisfaction à l’endroit des libéraux et à mobiliser le désir de changement de gouvernement, tout en capitalisant sur la compétence de son chef et sur un programme complet et clair. Le choix du slogan “L’autre façon de gouverner” va dans ce sens. Il met en relief la volonté de changer la façon de diriger les affaires de l’État et souligne les différences de perspectives offertes : “Ce slogan permettait d’associer dans l’esprit des électeurs la critique du bilan libéral, le choix d’une nouvelle équipe et l’option souverainiste.” De plus, Lisette Lapointe, la nouvelle épouse de Jacques Parizeau, est omniprésente lors de la campagne, demandant “à son mari de mettre à sa disposition une équipe de tournée exclusivement pour elle”. »

 

Éric Bédard note qu’en « quelques années, son look avait complètement changé. Finis les complets trois-pièces et les cheveux lissés. Il avait également cessé de fumer et perdu du poids — son épouse s’assurait que les serveurs ne lui apportent aucun dessert ! Il lui arrivait même de laisser tomber la cravate et de se permettre certaines audaces, comme de danser avec nous, les yeux fixés sur Lisette Lapointe, que le regard du public semblait griser. »

Photographie de Lisette Lapointe et Jacques Parizeau allant exercé son droit de vote. 12 septembre 1994.

Collection Dave Turcotte

Photographe Paul Chiasson

Alain Lavigne avance que la « stratégie publicitaire est par ailleurs bien planifiée et compte sur des messages plus diversifiés que l’adversaire libéral : “On a surtout voulu rassurer les gens, on a misé sur les qualités de l’équipe sans pour autant cacher le chef et, surtout, on a insisté sur le fait que le Québec avait besoin de changement et que le Parti québécois représentait ce changement.” parmi les messages télé, trois mettent en scène Jacques Parizeau. Les candidats sont vus, mais ils ne parlent jamais. »

 

Éric Bédard commente que « comme à leur habitude, les libéraux, pour mieux faire oublier leur piètre gestion, répétaient qu’un vote pour le PQ était un vote en faveur de la “séparation”. En 1994, ils avaient cependant raison, c’était précisément le dessein de Monsieur et de tous ceux qui le suivaient. Politicien coriace, Daniel Johnson allait multiplier les discours jusqu’à la dernière minute ; de son côté la direction péquiste, croyant probablement la victoire acquise, avait ralenti la cadence en fin de campagne. »

 

Pierre Duchesne rapporte que Jacques Parizeau reconnaît que ce fut une erreur. « Je fais trop chef d’État, précise-t-il. La dernière semaine, je commence à avoir la grosse tête. Je trouve que ça va trop et très bien, pendant que Johnson “varge” à tour de bras. Mon attitude a coûté 1 ou 2 % des votes. »

 

Alain Lavigne rappelle que devant trois millions de téléspectateurs, branchés sur les ondes de Radio-Canada, TVA et Radio-Québec, le « soir du 29 août, Jacques Parizeau et Daniel Johnson s’affrontent dans un débat télévisé animé par Jacques Moisan. Les attentes sont grandes puisque le dernier débat du genre remonte à la campagne électorale de 1962. Le “Face-à-face 94” ne passera pas à l’histoire. La plupart des commentateurs de l’époque conclurent à un match nul. Pour d’autres cependant : “Jacques Parizeau sembla avoir mieux réussi que son adversaire à tirer son épingle du jeu et à améliorer son image publique en se montrant plus calme et détendu que son adversaire qui, par moment, montra des signes d’agitation.” »

Jean-Herman Guay et Serge Gaudreau soulignent que « signe des temps, les chefs des trois principales formations acceptent aussi de participer, à tour de rôle, à une émission présentée sur Musique Plus. Cette chaîne rejoint surtout les jeunes électeurs. Autre indice révélateur des nouvelles tendances : chaque parti se dote d’équipes en alerte, prêtes à réagir promptement à chaque déclaration ou à chaque incident. Enfin, le Parti québécois ne tient pas de grands rassemblements, comme c’était la coutume, en fin de campagne. Sa soirée électorale se déroule même à Québec, et non à Montréal, une première. »

 

Alain Lavigne écrit que dans « son comté, Monsieur est toujours bien visible dans les pages de L’Artisan. Il est notamment à la une de l’édition du 2 août qui titre : “Parizeau multiplie promesses…” De plus, des publicités sont présentes dans toutes les parutions de l’hebdomadaire au cours des semaines qui suivent. On y avance qu’avec Parizeau et le PQ, ce sera : “Pas de laisser-faire. Juste de la solidarité” (16 août), “Pas de laisser-faire. Juste de l’imagination” (23 août et 6 septembre). »

 

Le 12 septembre 1994, Jacques Parizeau est élu premier ministre suite avec une victoire beaucoup plus serrée qu’il l’espérait. Le Parti Québécois fait élire 77 députés avec 44,75 % des votes, le Parti libéral, 47 députés avec 44,4 % des votes et l’Action démocratique du Québec, un député avec 6,46 % des votes. Dans L’Assomption, Jacques Parizeau est réélu avec une majorité de 10 992 votes.

Résultats de l'élection québécoise de 1994 dans la circonscription de L'Assomption.

Musée virtuel d'histoire politique du Québec

Éric Bédard affirme que « c’était une victoire au goût amer. L’objectif du nouveau gouvernement n’était pas seulement de diriger le Québec, mais d’en faire un pays souverain. Comme Monsieur s’était engagé à tenir un référendum dans les mois qui suivraient l’élection, nous avions tous l’impression que le temps nous était compté, et ce sentiment d’urgence était source de nervosité et d’anxiété. Il faut dire que Monsieur n’était pas du tout satisfait des résultats et qu’il ne se gênait pas pour le faire savoir par l’entremise de Jean Royer, devenu chef de cabinet du premier ministre. Ce dernier fut chargé d’opérer une véritable purge à la permanence. […] Il espérait bénéficier de l’effet de la victoire, maintenir les troupes en haleine, poursuivre la mobilisation jusqu’au Oui final. La courte victoire électorale l’obligeait à écarter ce scénario, du moins en partie. »

 Élu premier ministre du Québec 

Nouvellement élu, Jacques Parizeau est assermenté à titre de premier ministre du Québec le 26 septembre 1994.

Carte professionnelle de Jacques Parizeau. Vers 1994.

Collection Alain Lavigne

Jacques Parizeau confirme que « deux grandes idées s’étaient dégagées de sa campagne électorale. Premièrement, il y aurait dans l’année suivant l’élection un référendum pour réaliser la souveraineté du Québec. Deuxièmement, il fallait régler une foule de problèmes qu’un gouvernement vieilli, usé, avait négligés ou simplement renvoyés aux calendes grecques. Il fallait “bouger”, selon le slogan de la campagne, tout en faisant en sorte qu’après deux ans au pouvoir on cesserait d’emprunter pour les opérations courantes, c’est-à-dire pour payer l’épicerie. J’étais certain que mon gouvernement pourrait préparer le référendum, faire démarrer un certain nombre de projets d’ordre économique et social tout en entreprenant sérieusement d’assainir des finances publiques délabrées. Effectivement, tout cela a été fait. »

 

Pierre Duchesne note que « malgré un style et une personnalité que les Québécois n’apprécient guère, Jacques Parizeau, le mal-aimé de la politique québécoise, devient donc premier ministre. Au-delà de son image, l’électorat lui fait confiance pour ses compétences et sa promesse de bonne gestion. De tous les chefs du Parti québécois, c’est lui qui a parlé avec la plus grande transparence de son intention de réaliser la souveraineté. Avec son arrivée au pouvoir, les Québécois s’attendent donc à devoir voter à nouveau lors d’un référendum. »

 

Alain Lavigne relate qu’aussitôt « au pouvoir, tel qu’il l’avait promis, Jacques Parizeau amorce rapidement le processus qui va conduire au référendum du 30 octobre 1995. Nul doute qu’il pense la raison d’État en homme d’État : « Il croit surtout que le leadership politique doit créer l’histoire et donner une direction aux événements, plutôt que se mettre à leur remorque. » Aux yeux d’un de ses proches collaborateurs, son gouvernement fonctionne avec deux moteurs : l’un pour les affaires de l’état et autre pour préparer le référendum.

 

Dans l’entourage du premier ministre, les conseillers s’efforcent de lui donner une stature présidentielle : “La première conférence de presse se déroule donc au Château Frontenac, un lieu par ailleurs très fréquenté par Jacques Parizeau. On pense un moment à doter le premier ministre d’un porte-parole, tout comme le président américain, puis on se ravise.” »

Résidence officielle

 

Alain Lavigne explique que « Parizeau insiste aussi pour que la capitale fonctionne cinq jours sur cinq. Dans cette optique, il accepte l’idée de la Chambre de commerce de Québec voulant que le premier ministre ait une résidence de fonction dans la Vieille Capitale. Le couple Parizeau s’installe donc au 1080, rue des Braves, une résidence que l’on aura tôt fait de surnommer “l’Élysette”, à la suite du concours d’une radio. »

 

Pierre Duchesne ajoute que « l’enfilade des pièces de l’Élysette est idéale pour les réceptions. La première dame de l’époque se rappelle que “c’est pour ça que la maison de la rue des Braves a été privilégiée”. Tous les jeudis, la résidence accueille des “six à huit” prestigieux qui font la fortune des compagnies de taxi de la capitale. Aux gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre pouvaient se succéder les citoyens émérites de Saint-Georges de Beauce, débarqués en autobus. »  

 

Photographie de la résidence officielle du premier ministre Jacques Parizeau située au 1080, avenue des Braves à Québec. 2021.

Collection Dave Turcotte

Avant-projet de loi sur la souveraineté

 

Éric Bédard souligne que « Jacques Parizeau était l’anti-Robert Bourassa ; avec lui, la volonté était au pouvoir. Nous avions à la tête du Québec un vrai chef qui annonçait ce qu’il allait faire, et qui faisait ce qu’il avait annoncé. On sentait que Monsieur avait un plan et qu’il s’y tenait. C’était inspirant ! […] En quelques semaines, le chef de parti s’était métamorphosé en premier ministre. Ces démonstrations de détermination et de volonté n’étaient cependant qu’une mise en bouche. Le plat de résistance allait être servi aux Québécois le 6 décembre 1994. Ce jour-là, le gouvernement déposait son avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec, dont le premier des dix-sept articles se lisait comme suit : “Le Québec est un pays souverain.” »

 

À cet avant-projet de loi, le premier ministre crée 18 commissions régionales sur l’avenir du Québec. Le soir du 6 décembre, dans un « appel à la nation » télévisé, il invite les Québécois à s’exprimer sur l’avant-projet de loi, notamment en participant activement aux audiences des commissions régionales.

 

Jacques Parizeau précise que son intention est de dire aux Québécois que « nous allons maintenant entrer dans une phase de discussions générales, que tout peut être discuté. Sauf bien sûr l’idée de faire de l’avant-projet de loi un texte orienté vers l’unité canadienne et que la page laissée en blanc sous le titre “Préambule” sera remplie après que nous aurons reçu toutes les suggestions que les citoyens et citoyennes voudront bien exprimer. »

 

En décembre 1994, l’avant-projet de loi est expédié par la poste dans tous les foyers du Québec.

Avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec autographié par Jacques Parizeau. 1994.

Collection Alain Lavigne

Commissions sur l’avenir du Québec

 

Jacques Parizeau affirme que « des commissions régionales itinérantes sont formées pour entendre tous ceux qui souhaitent témoigner devant elles et discuter de l’une ou de l’autre des dispositions ou de l’ensemble de l’avant-projet de loi. Tous les partis politiques qui ont des députés à l’Assemblée nationale ou des députés québécois à la Chambre des communes sont invités à nommer des représentants au sein de ces commissions qui, toutefois, ne comptent pas de députés ou de ministres en fonction. Le Parti libéral du Québec et le Parti libéral du Canada, dirigés respectivement par Daniel Johnson fils et Jean Chrétien, décident de bouder les commissions. Le Bloc québécois, sous la direction de Lucien Bouchard, s’associe dès le début à la démarche. Pour sa part, l’Action démocratique du Québec, entraînée par son chef et seul député à l’Assemblée nationale, Mario Dumont, accepte de participer à l’exercice.

 

Un effort est fait afin d’aller chercher des gens qui, ayant joué un rôle dans les partis politiques, ont maintenant pris un certain recul. Marcel Masse, ancien ministre de Daniel Johnson père et ministre de la Défense nationale de Brian Mulroney, sera le président de la commission de Montréal. Jean-Paul L’Allier, maire de Québec et ancien ministre de la Culture et des Communications de Robert Bourassa, présidera la commission de Québec. De plus, des élus locaux et régionaux, et des personnes qui, souvent dans l’ombre, sont engagées dans leurs milieux de vie ou de travail, parmi lesquelles plusieurs femmes et des jeunes, seront nommés après de longues consultations. 

En janvier 1995, on expédie dans tous les foyers du Québec le guide de participation aux Commissions sur l’avenir du Québec. Le 3 février, les Commissions sont officiellement lancées et commencent à siéger. Il y aura 18 commissions : 16 régionales, plus une commission des aînés et une commission des jeunes. [La commission des jeunes est présidée par l’animateur de l’émission vedette chez les jeunes de cette époque, Marc-André Coallier.] Une fois que les commissions régionales auront déposé leur rapport, une commission nationale fera une synthèse de ces rapports et présentera ses conclusions. Les présidents et présidentes des commissions constituent la Commission nationale sur l’avenir du Québec et élisent leur président. Monique Vézina, ancienne ministre et présidente de la Commission des aînés, sera élue présidente par ses pairs.

Au total, 53 000 personnes assisteront aux séances publiques des commissions. La télévision communautaire à Montréal retransmet les débats. L’audience atteint jusqu’à 400 000 téléspectateurs. L’exercice est admirable tant par l’intensité de la participation du public que par les idées qui en émergent. […]

 

Les rapports [des 18 commissions] sont déposés entre le 13 et le 21 mars 1995. À partir de là, les événements se précipitent. Le 22 mars, j’inaugure les travaux de la Commission nationale sur l’avenir du Québec. […] Le 19 avril, la Commission nationale sur l’avenir du Québec remet son rapport. »

Le camp du changement

 

Éric Bédard raconte qu’aux « journalistes qui le harcelaient au sujet de la date du référendum, le premier ministre Parizeau répondait inlassablement que celui-ci aurait lieu très rapidement, peut-être même en juin 1995, et qu’un Oui donnerait à l’Assemblée nationale le pouvoir de déclarer l’indépendance du Québec. Ce jusqu’au-boutisme apparent avait le don d’exaspérer le chef du Bloc québécois[, Lucien Bouchard,] et d’inquiéter quelques ténors du gouvernement, dont Bernard Landry, influent vice-premier ministre […]. Isolé, poussé dans ses derniers retranchements, le premier ministre avait été forcé de reconnaître, à la conférence de presse de clôture du Grand Rassemblement des jeunes péquistes de Saint-Hyacinthe, que les Québécois n’étaient “pas prêts, maintenant, à voter en faveur de la souveraineté”, mais qu’ils le seraient “d’ici peu”… J’étais à ses côtés lorsqu’il a baissé les bras ; je le sentais las, résigné, déçu de ne pouvoir lancer l’offensive plus rapidement. »

 

Lucien Bouchard est agacé non seulement par le calendrier référendaire, mais aussi par la nature du projet soumis aux Québécois. L’aile jeunesse du Bloc présente un mémoire lors des audiences de la Commission des jeunes sur l’avenir du Québec. Ce mémoire propose un nouveau partenariat entre le Québec et le reste du Canada, fondé sur des institutions politiques communes. Cette approche rappelle celle des dissidents libéraux et de Mario Dumont, qui privilégient une nouvelle confédération à une refondation indépendantiste.

 

Éric Bédard poursuit : « Dans son célèbre discours d’ouverture aux assises du Bloc, prononcé le soir du 7 avril 1995 en présence du premier ministre du Québec, Lucien Bouchard avait annoncé clairement ses couleurs : “Le projet souverainiste doit prendre un virage qui le rapproche davantage des Québécois et qui ouvre une voie d’avenir crédible à de nouveaux rapports Québec-Canada.” Virage : le mot était lancé ! Pour faire bouger l’aiguille des sondages, le chef bloquiste croyait qu’il était urgent de donner un coup de barre, quitte à revenir à une nouvelle mouture de la “souveraineté-association” de René Lévesque. L’heure n’était plus à la rupture avec le Canada mais à une nouvelle entente, un nouveau “partenariat” économique, voire politique, fondé sur l’égalité entre nos deux peuples. […] Peut-être parce qu’il sentait que cette perception commençait à se cristalliser dans les esprits, Lucien Bouchard, à l’occasion d’une entrevue radiophonique diffusée trois jours plus tard, a donné une tournure dramatique aux événements : “Moi, s’il a une chose que je ne veux pas, c’est d’assister ou de participer à une campagne référendaire qui nous conduirait d’une façon assurée à l’échec. Je ne veux pas que le Québec se fasse batter une deuxième fois.” Le chef du Bloc était on ne peut plus clair : le projet de partenariat avec le reste du Canada devait occuper une place beaucoup plus importante, et, à défaut d’être entendu, il s’abstiendrait de “participer” à la campagne référendaire. Avec de telles déclarations, le déni n’était plus possible. La crise entre les deux chefs était majeure, ouverte. »

 

Éric Bédard croit qu’en « politique, découvris-je assez rapidement, rien n’est jamais terminé, à moins d’être l’esclave de son ego. Le succès de l’opération référendaire était entre les mains du premier ministre : s’il campait sur ses positions, nous allions tout droit vers un mur ; s’il mettait de l’eau dans son vin, les bloquistes se vanteraient d’avoir fait plier le chef du gouvernement. Autour de Monsieur, ses conseillers s’activaient pour trouver une porte de sortie honorable. Les conclusions du rapport de la Commission nationale sur l’avenir du Québec, présidée par l’ancienne ministre conservatrice Monique Vézina, permirent au premier ministre de sauver la face et de débloquer l’impasse. Tablant sur ce rapport, le chef du gouvernement, lors d’un discours prononcé le 19 avril au salon rouge de l’hôtel du Parlement, employa pour la première fois le concept de “camp du changement” — immédiatement salué par Mario Dumont. Par rapport aux scénarios d’association future avec le reste du Canada, Monsieur montra une ouverture nouvelle. Si certains de ces scénarios lui semblaient “incontournables” — le libre-échange, par exemple — d’autres pouvaient s’avérer “envisageables”, voire “souhaitables”. Le premier ministre se garda bien de se montrer trop précis. On sentit cependant un déplacement des plaques tectoniques. Quelque chose était en train de passer, les contours du projet se redessinaient sous nos yeux. »

De là, des représentants du Parti Québécois, du Bloc Québécois et de l’Action démocratique du Québec négocient discrètement et avec succès une entente. Alain Lavigne écrit : « Signée le 12 juin, une entente tripartite entre les trois leaders souverainistes, désignée sous le nom du “camp du changement”, établit un nouveau plan quant à la manière de procéder. Dans l’éventualité d’un Oui au référendum, l’Assemblée nationale pourrait proclamer la souveraineté du Québec, mais devrait, au préalable, offrir au Canada de négocier un traité de partenariat économique et politique. Ce virage inversait dès lors les rôles. Les souverainistes pouvaient mener positivement la bataille pour une association avec le Canada. Si cette option échouait, ce sont les fédéralistes qui devraient payer l’odieux du rejet des offres du Québec. »     

Référendum de 1995

 

Jacques Parizeau énumère quelques gestes posés pour préparer les Québécois à cette grande décision. « Les études commandées à divers chercheurs sous la direction de l’Institut national de recherche scientifique (INRS) visant à clarifier certains aspects de la souveraineté (documents communément appelés “études Le Hir”) commencent à sortir. Le 6 septembre, le projet de préambule préparé par Gilles Vigneault, Marie Laberge, Fernand Dumont et Jean-François Lisée est dévoilé au Grand Théâtre de Québec. Le 21 septembre, enfin, est publié Le cœur à l’ouvrage, qui n’est pas un projet de société, ce serait bien ambitieux, mais une réflexion qui ouvre des perspectives intéressantes sur l’avenir.

Brochures publiées en français et en anglais par le camp du changement présentant des perspectives pour le Québec de l’après-oui. 1995.

Collection Dave Turcotte

Quelques jours auparavant, soit le 7 septembre, l’Assemblée nationale a été convoquée. Le projet de loi sur la souveraineté a été présenté avec le libellé de la question référendaire. […]

 

Acceptez-vous que le Québec devienne un pays souverain, après avoir formellement offert au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995 ?

OUI ou NON

 

Le débat sur la question est lancé. Il durera jusqu’au 20 septembre. Le 1er octobre 1995, je fais émettre les brefs pour la tenue du référendum. »

Alain Lavigne analyse ainsi les stratégies de communication des deux camps. La stratégie de la campagne du Oui : « de manière positive, on chercherait à orienter le débat sur le projet de nouveau partenariat afin de rallier les électeurs hésitants. Dans le camp du Non, on attaquerait la crédibilité de l’association économique et les dangers de la séparation.

 

Côté Oui, la campagne d’affichage recourt à des symboles positifs. Les affiches transforment le O du Oui en cinq symboles à connotation positive : “Le partenariat (le dollar canadien) ; la paix (le ‘peace and love‘) ; l’environnement (la marguerite) ; le travail (une affiche de construction) ; l’ouverture (la planète), dans l’objectif de faire consensus et de susciter une adhésion grandissante à son opinion. ” »

Côté Non, c’est le contraire : « Toute la campagne visuelle du camp fédéraliste était bâtie autour d’une simple affiche où l’on pouvait lire “NON à la séparation”, et dans laquelle on avait réuni le rouge et le bleu, la feuille d’érable et la fleur de lys. » En matière de publicité, trois messages télé de 15 secondes reprennent un thème déjà utilisé dans la publicité écrite : « Monsieur Parizeau, pourquoi risquer nos emplois ? » « Monsieur Parizeau, pourquoi affaiblir le Québec ? La séparation c’est NON. On a raison de dire NON. »

Alain Lavigne lance : « Et puis vint une grande annonce [le 7 octobre 1995] : celle de la désignation de Lucien Bouchard à titre de négociateur en chef en prévision des discussions avec le Canada au lendemain d’un Oui. L’annonce donne un nouveau souffle à la campagne, tout en reléguant Jacques Parizeau au second plan. Cette décision difficile pour l’ego du chef, il l’a appuyée en raison des sondages internes démontrant clairement que le nouveau négociateur “sort le plus fort” dans les intentions de vote. »

 

Pierre Duchesne présente l’analyse de Jacques Parizeau sur cette décision. « Sur le plan de l’image, j’ai la possibilité d’avoir une meilleure image que la mienne. La conclusion des sondages, c’est donc qu’on va donner à Lucien Bouchard le premier rôle. » Pierre Duchesne prétend que « quoi qu’il en dise, le premier ministre se rend bien compte que les Québécois sont en train de lui donner un signal non équivoque : ils préfèrent un chef négociateur plutôt qu’un chef de troupe. Son allure de conquérant gêne, tandis que celle du conciliateur rassure. […] Même s’il le voulait, Jacques Parizeau est incapable de reproduire l’image d’un leader indécis et mené par le doute. »

 

Alain Lavigne ajoute : « Rapidement, l’impact de cette décision stratégique se fait sentir sur le terrain : “Bouchard devient le garant du maintien d’un lien avec le Canada après la souveraineté. Partout où il passe, il attire les foules. Des femmes prient pour lui. Un partisan dans une assemblée lui demande de bénir le drapeau du Québec. La venue de saint Lucien, surtout, fouette les troupes qui reprennent confiance et se remettent au boulot. C’est Bouchard, le prestidigitateur, en train de transformer une défaite en victoire.” »

Le 27 octobre 1995, c’est le « love-in » des Canadiens anglais aux Québécois. Cette grande marche pour le Canada au centre-ville de Montréal rassemble 100 000 personnes selon les organisateurs. Il aura un impact certain sur le résultat du 30 octobre et sa légalité fera couler beaucoup d’encre pendant de nombreuses années. 

Alain Lavigne rapporte que « toujours est-il que le soir du 30 octobre, à la fin d’une campagne dont la couverture de presse dépasse la scène nationale, les résultats demeurent extrêmement serrés jusqu’à ce que le Non se détache finalement et l’emporte de justesse avec 50,58 % des votes : « La défaite est d’autant plus amère pour les partisans du Oui qu’elle se solde par une nouvelle controverse : les déclarations du premier ministre Parizeau sur le rôle “de l’argent et des votes ethniques” dans la victoire du Non. » Pourtant, ce soir-là, Jean-François Lisée avait préparé des notes pour un discours de défaite. Le texte de quatre pages, titré « Un extraordinaire événement s’est déroulé aujourd’hui », est lu rapidement par chef avant de prendre place sur la tribune. Il le plie en deux et le glisse dans sa poche de veston… et il y restera. »

 

Pierre Duchesne avance que « le discours de Jean-François Lisée a beau être noble, Jacques Parizeau peut difficilement s’y identifier. Cela équivaudrait à le voir prôner la rectitude politique contre laquelle il s’est toujours opposé. Jacques Parizeau fera ce qu’il a toujours fait : il dira ce qu’il pense et ce qu’il ressent. Il le dira dans ses mots à lui, au risque de déplaire… une dernière fois. »

Page une du Journal de Montréal. 30 octobre 1995.

Collection Dave Turcotte

Démission

 

Le 31 octobre 1995, le lendemain du référendum, il annonce son intention de démissionner comme député et premier ministre. Une course à la direction au sein du Parti Québécois s’organise. Jacques Parizeau démissionne officiellement le 29 janvier 1996, laissant le poste de premier ministre à Lucien Bouchard.

Page une du journal Le Soleil. 1er novembre 1995.

Collection Dave Turcotte

Bilan du gouvernement Parizeau

 

Parmi les réalisations du gouvernement Parizeau, il faut souligner la création en 1995 du premier Carrefour jeunesse-emploi (CJE) à Gatineau. Séduit par le travail de l’organisme, le premier ministre demande alors aux députées et députés de travailler à la création de CJE sur tout le territoire. Aujourd’hui, ils sont 112 répartis dans les 17 régions du Québec.

 

Au cours de son mandat, le gouvernement Parizeau a également :

  • instauré la perception automatique des pensions alimentaires;

  • réglementé de nouveau la construction résidentielle;

  • introduit le concept de recyclage au gouvernement du Québec;

  • créé le Secrétariat à l’action communautaire autonome et le Fonds d’aide à l’action communautaire autonome;

  • lancé le premier site Web du Gouvernement du Québec.

 

Photographie de la dernière séance du conseil des ministres de Jacques Parizeau. 24 janvier 1996.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Fonds Jacques Parizeau


PREMIER MINISTRE
 


Élection 1994
 

Affiche électorale du Parti Québécois. 1994.

Collection Dave Turcotte

Page une du Journal de Montréal. 13 septembre 1994.

Collection Dave Turcotte

Page une du Journal de Québec. 13 septembre 1994.

Collection Dave Turcotte


Référendum 1995
 

Affiches du Comité national du OUI. 1995.

Collection Dave Turcotte

Affiche du Comité des Québécoises et des Québécois pour le NON. 1995.

Collection Dave Turcotte



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