Jacques Parizeau
Le candidat
Bien avant de s’impliquer ouvertement en politique, Jacques Parizeau s’y intéresse lors de sa jeunesse. Laurence Richard raconte que la « mère de Jacques Parizeau s’intéresse beaucoup à la politique : “Ma femme, écrit Gérard Parizeau, s’intéressait tellement à la politique que, la veille d’une élection, elle ramassait des cartons des feuilles de papier, des crayons, et, devant la radio, elle notait tous les résultats. Elle en parlait au fur et à mesure que la soirée avançait… Jacques s’y intéressait beaucoup. C’était l’aspect théorique de la politique qui l’intéressait.” Politisée, mais peu encline à s’engager en faveur d’un parti, Germaine Parizeau prend finalement ses distances avec Thérèse Casgrain, à cause de ses prises de position au sein du Parti social démocratique. »
Laurence Richard avance qu’un an après son entrée aux HEC, Jacques Parizeau « milite pour le Parti communiste. Ses premières interventions politiques datent de cette époque : “Je n’avais pas l’âge d’appartenir à une cellule du Parti communiste, raconte Parizeau. Il y avait plusieurs cellules qui fonctionnaient en 1948, trois ans après la guerre. N’importe qui ayant un peu de cœur au ventre, dans ce temps-là, était dans la mouvance du Parti communiste. Surtout chez les jeunes. Mes premiers travaux d’économie, je les ai réalisés pour le Parti communiste.” »
Laurence Richard précise qu’au « bout de quelque temps, Parizeau prend ses distances du Parti communiste. Il découvre par contre chez une amie de sa mère, Thérèse Casgrain, des préoccupations d’ordre social complètement étrangères à celles des Québécois de cette époque duplessiste. […] Les contacts entre le jeune Jacques et Thérèse Casgrain s’établissent d’autant plus facilement qu’à part sa mère, elle est la seule femme à l’avoir tenu sur ses genoux ! Thérèse passe d’ailleurs ses vacances à Saint-Irénée, dans Charlevoix, tout près de la maison des Parizeau : “Moi, tout naturellement, je suivais madame Casgrain, raconte Jacques Parizeau. Je n’appartenais pas au CCF, mais je le fréquentais beaucoup. […] J’étais souvent invité à des réunions, à des réceptions, sans jamais, surtout à mon âge, être au cœur de quoi que ce soit. Je les écoutais parler. Je trouvais ça fascinant. Sarah, la bonne qui m’a élevé, était absolument scandalisée par ces fréquentations.” Sarah va jusqu’à intercepter les téléphones de Thérèse Casgrain à Jacques Parizeau parce qu’elle identifie Thérèse et le CCF au “communisme” et qu’elle voit d’un mauvais œil qu’un aussi jeune homme fréquente une femme de cet âge […]. Toutefois, Parizeau, même proche du CCF, n’y adhère pas. II ne veut pas toucher à la politique. »
L'indépendentiste
Jacques Parizeau écrit sur sa grande conversion souverainiste. « En octobre 1967, je suis invité à prononcer une conférence à Banff sur le sempiternel problème du fédéralisme canadien. Je suis alors conseiller au bureau du premier ministre du Québec. […] En 1967, je suis fédéraliste ; je l’ai toujours été. D’abord parce que, sur le plan économique et social, je suis de centre gauche. Comme bien des gens à cette époque, comme libéraux à Ottawa et comme les libéraux à Québec. Je n’ai cependant jamais fait de politique active. Depuis ma jeunesse, j’éprouve une profonde répugnance pour le duplessisme qui, pour moi, est le prolongement d’une forme de cléricalisme étroit qui sévit au Québec depuis le milieu du XIXe siècle, c’est-à-dire depuis l’écrasement des Rébellions de 1837-1838. Ce mélange d’idées primaires de droite, de nationalisme linguistique borné, de favoritisme et de conformisme me tape sur les nerfs. »
Laurence Richard ajoute : « Montréal, le 14 octobre 1967. Jacques Parizeau s’embarque, à la gare Windsor, à bord du train du Canadien Pacifique qui traverse le Canada d’Est en Ouest. Ce chemin de fer, au moment de sa construction, a été considéré comme le symbole et le ciment de la Confédération. Le jeune fonctionnaire se dirige vers Banff, en Alberta, où il doit prononcer une conférence sur l’avenir du Canada devant plusieurs spécialistes des questions économiques et constitutionnelles, à l’occasion du centenaire de la Confédération. Pour ce voyage de trois jours, il a réservé un compartiment salon dans lequel, avec Alice, il peut se détendre et surtout préparer sa conférence. Tout en rédigeant son texte et en réfléchissant, il en arrive à la conclusion que le Québec et le Canada se trouvent dans un cul-de-sac. Le remède pour le Canada se trouve dans une plus grande centralisation économique et politique alors que la solution pour le Québec est une décentralisation qui lui permettrait de se définir comme une nation distincte. C’est la quadrature du cercle. Il ne voit pas d’autre option que la souveraineté : “En montant à la gare Windsor, j’étais fédéraliste, dit Parizeau ; en descendant à Banff, j’étais séparatiste.” »
Selon Wikipédia, « lors de la conférence, il conclut son discours par un constat qui glace son auditoire : “La question de savoir si le Québec aura ou n’aura pas de statut particulier est byzantine. Québec a déjà un statut particulier embrassant tout un éventail d’activités. Il aura tôt ou tard un statut encore plus particulier. Il deviendra peut-être même indépendant. […] Dès que l’autorité centrale n’a plus le contrôle des priorités et n’est plus en mesure de ménager des services communs, sinon identiques, toute politique économique risque de sombrer dans l’inefficacité”. »
Laurence Richard décrit que « son auditoire, qu’il connaît bien et depuis longtemps, est évidemment catastrophé par sa conférence. Pour eux, c’est l’apostasie : “Comment Parizeau, que l’on connaît depuis toujours, a-t-il pu virer de bord comme ça, en une semaine ?” Le scandale est de taille, d’autant plus que Parizeau est considéré tant dans le milieu francophone que dans le milieu anglophone comme un expert en économie et comme l’un des technocrates les plus brillants ! »
Selon Wikipédia, « l’évolution de la situation politique confirme ses appréhensions. En juin 1968, Pierre Elliott Trudeau est porté au pouvoir avec le mandat de remettre le Québec à sa place au sein du Canada. En septembre 1968, Daniel Johnson disparaît, laissant la place à Jean-Jacques Bertrand, un nationaliste beaucoup plus conciliant que son prédécesseur à l’égard d’Ottawa. En octobre 1968, le Mouvement Souveraineté-Association de René Lévesque fusionne avec le Ralliement national de Gilles Grégoire pour fonder un nouveau parti : le Parti québécois (PQ). Pour Jacques Parizeau, la réforme du fédéralisme a été un échec. Les solutions proposées pour changer la constitution de 1867 n’avaient pas permis au Québec de se développer en fonction de ses intérêts propres. Pour résoudre cette impasse, il fallait mettre fin à la confusion et recentrer le pouvoir de l’État sur un seul pôle : celui de Québec. »
Document définissant les grandes orientations du Mouvement souveraineté-association adopté par les 7 300 membres au congrès des 19 au 21 avril 1968. À ce congrès, les militants décideront de fonder un nouveau parti politique indépendantiste : le Parti Québécois.
Programme du Mouvement souveraineté-association. 20 mai 1968.
Collection Dave Turcotte
Le Parti Québécois
Alain Lavigne annonce : « Grosse nouvelle à Montréal le 19 septembre 1969 : Jacques Parizeau prend sa carte de membre du PQ devant une batterie de caméras et d’appareils photo lors d’une conférence de presse au restaurant de Butch Bouchard. Il y fait alors sa profession de foi envers le projet d’indépendance du Québec. Selon lui, le pays est en train de se construire deux gouvernements : “Il faut choisir” […]. L’adhésion de Parizeau au PQ réjouit Lévesque, car elle lui permet de donner une importante caution économique à son option : “L’arrivée de cet économiste de renom est à même de rassurer sur les effets économiques véritables de la souveraineté. Si l’on en croit la réaction généralement positive des médias de l’époque, l’objectif est amplement atteint.” »
Laurence Richard note que « dans la famille Parizeau, la politique, cette ingrate, n’a pas bonne presse. C’est pourquoi Jacques Parizeau, pendant toute l’époque de la Révolution tranquille, est resté à l’écart, préférant le rôle du mandarin exerçant un pouvoir réel à celui de politicien. Et c’est en homme d’État et non en politicien que Parizeau entre en politique, aux côtés de René Lévesque : “La seule raison pour laquelle je suis entré en politique active, affirme-t-il, c’est pour réaliser la souveraineté du Québec, pour faire aboutir les choses.” »
Congrès 1969
Le Parti Québécois tient son deuxième congrès les 17, 18 et 19 octobre 1969 à Montréal. Le thème est : Congrès de la preuve et de l’élan et Jacques Parizeau y est élu à l’exécutif national du parti. Laurence Richard souligne que « les interventions de Jacques Parizeau sur différentes résolutions économiques sont déterminantes. Il suffit de lire le chapitre économique du programme du PQ issu de ce congrès pour y déceler son influence. Ce texte est précis, et plus “technocrate” que le précédent en ce qui concerne les moyens, les instruments de politique économique et le rôle de l’État dans le développement économique. »
Laurence Richard ajoute que « le Parti québécois donne de plus en plus l’image d’un parti respectable, composé de gens “compétents”. Le PQ publie [en mars 1970] un ouvrage intitulé La souveraineté et l’économie portant la marque de Jacques Parizeau qui y présente la souveraineté comme un instrument de développement économique pour le Québec. »
Deux premières éditions du programme du Parti Québécois. 1969.
Collection Dave Turcotte
Document La souveraineté et l'économie produit par le comité de documentation du Parti Québécois. 1970.
Collection Dave Turcotte
Élection québécoise du 29 avril 1970
L’élection du 29 avril 1970 est l’occasion pour le Parti Québécois de « s’exposer » au « verdict électoral » pour la première fois. Jacques Parizeau se présente dans la circonscription d’Ahuntsic sur l’île de Montréal. Il apporte une valeur « économique » à l’option du parti. Candidat vedette, il est présent sur toutes les tribunes afin de défendre les arguments économiques de l’option de l’indépendance.
Alain Lavigne explique que « Jacques Parizeau est bien visible dans la publicité télé. Aux fins d’une émission de 30 minutes, il partage la vedette avec René Lévesque et Gilles Grégoire, le vice-président du PQ. Qui plus est, c’est la photo de Parizeau devant un tableau noir qui apparaît au verso du programme imprimé à 300 000 exemplaires. […] Parizeau a également droit à une affiche nationale dont le message avance qu’un “OUI la souveraineté c’est la prospérité !” La vignette de la photo rappelle “qu’il est considéré comme l’un des économistes les plus clairvoyants et compétents du pays”.
Jacques Parizeau est tellement présent dans la campagne nationale qu’il est forcément moins disponible dans le comté où il tente de se faire élire. Bien souvent, comme le relève le jeune militant Daniel Paillé, (qui sera ministre dans le cabinet Parizeau et chef du Bloc Québécois) c’est sa conjointe Alice qui le représente dans Ahuntsic : “Elle compensait pour les absences de son mari, allant même jusqu’à faire du porte-à-porte et jouer le rôle de chauffeur.” »
Affiche électorale du Parti Québécois sur la souveraineté et la propérité. 1970.
Collection Dave Turcotte
Malgré des sondages très favorables, la situation se corse en fin de campagne. Laurence Richard relate que le dimanche 26 avril, quatre jours avant le vote, « huit camions blindés s’arrêtent devant le Trust Royal, à Montréal. Ils portent le nom de la Brink’s, une société spécialisée dans le transport de l’argent pour les institutions financières. Pourquoi le dimanche matin ? “Parce que c’était spectaculaire en diable : pas de circulation dans les rues, seulement des camions de la Brink’s !” s’exclame Jacques Parizeau.
La mise en scène aurait été imaginée par le président du Trust Royal, Conrad Harrington, qui soutient de son côté que ce spectacle étonnant n’a été que la conséquence accidentelle d’un problème de dimensions. Harrington prétend que les camions étaient trop gros pour franchir la porte qui donnait accès au sous-sol du Trust Royal (où d’après lui ils auraient pu être discrètement chargés) et qu’il a fallu par conséquent procéder à l’opération en public. Cette version de Harrington ne convainc pas Jacques Parizeau qui envoie des gens mesurer les portes pour vérifier son hypothèse. Bien sûr, les portes étaient assez grandes !
Les employés de la Brink’s vident donc les coffres devant les photographes de presse qui, comme par hasard, sont très actifs ce dimanche-là. On empile titres, actions et obligations qui vont bientôt prendre la route 401 à destination de Toronto. “C’était une manœuvre brillante, explique Parizeau, et voici pourquoi : vous avez un certificat d’action qui démontre que vous êtes propriétaire de 1000 actions de telle compagnie. Ce n’est pas de la propriété, ce certificat, c’est un aide-mémoire. Vous pouvez bien le perdre ou l’allumer avec une cigarette. Il vous suffira, le lendemain matin, de demander à votre secrétaire de vous faire émettre un autre certificat. Le papier sert seulement à vous rappeler que votre nom est inscrit dans le registre de la compagnie comme propriétaire de 1 000 actions ! Que les certificats soient à Montréal, à Toronto ou au pôle Nord, cela n’a absolument aucune signification.”
L’impact de ce qu’on appellera le “coup de la Brink’s” sera à peu près nul sur les gens les plus pauvres et les plus aisés, parce qu’ou bien ils ne savent pas ce qu’est un certificat d’actions, ou bien ils savent parfaitement que ce n’est qu’un aide-mémoire. Dans les deux cas, ça ne leur fait ni chaud ni froid qu’ils s’envolent. “Dans les milieux que je fréquentais, à Outremont, dit Parizeau, les gens ont ri tout bonnement, en disant que c’était un bon coup !”
Cependant chez tous les gens qui commencent à se sortir de la pauvreté, ceux pour qui réussir dans la vie veut dire avoir un peu d’obligations d’épargne, un peu d’obligations municipales ou scolaires, pour qui avoir une certaine aisance c’est avoir des titres, c’est la panique !
Après ce dimanche fatidique, le Parti québécois sent que le vote lui coule entre les doigts : “Dans un comté comme le mien, à Ahuntsic, raconte Parizeau, ce fut la panique. J’ai perdu l’élection en quatre ou cinq jours. […] L’épisode de la Brink’s est significatif des craintes qu’entraîne chez les adversaires de la souveraineté la crédibilité grandissante du Parti québécois.” L’adhésion au parti, l’année précédente, de Jacques Parizeau, un économiste respecté, a contribué à renforcer cette crédibilité. Les arguments contre la souveraineté étant surtout d’ordre économique, l’arrivée de Parizeau comble une brèche au PQ. »
Livre Les élections 1970 au Québec : Le Coup d'état du 29 avril écrit Bernard Smith. Éditions Actualité. 1970.
Collection Dave Turcotte
Le 29 avril 1970, le Parti libéral fait élire 72 députés avec 45,4 % des votes, l’Union nationale, 17 députés avec 19,6 % des votes, le Ralliement créditiste, 12 députés avec 11,2 % des votes et le Parti Québécois, 7 députés avec 23,1 % des votes. Jacques Parizeau est défait avec 16 236 votes contre 17 208 pour le candidat libéral François Cloutier, qui devient ministre dans le gouvernement de Robert Bourassa.
Résultats de l'élection québécoise de 1970 dans la circonscription d'Ahuntsic.
Musée virtuel d'histoire politique du Québec
Macaron du candidat libéral François Cloutier dans Ahuntsic. 1970.
Collection Dave Turcotte
Malgré sa défaite, le Parti Québécois a presque triplé l’appui que le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) avait obtenu à l’élection de 1966. Ces bons résultats font dire à René Lévesque, le soir de l’élection, que le Parti Québécois est « l’opposition officielle dans l’opinion populaire ». En fait, pour la première fois de l’histoire du Québec, il y aura, à l’Assemblée nationale, des députés indépendantistes démocratiquement élus. Les sept premiers députés du Parti Québécois sont : Camille Laurin (Bourget), Guy Joron (Gouin), Marcel Léger (LaFontaine), Robert Burns (Maisonneuve), Lucien Lessard (Saguenay), Charles-Henri Tremblay (Sainte-Marie) et Claude Charron (Saint-Jacques). Pour le chef du Parti Québécois, cette élection est « une défaite qui a l’air d’une victoire ».
Entre deux campagnes
Président du conseil exécutif du Parti Québécois
Jacques Parizeau devient le président du conseil exécutif du Parti Québécois le 13 juin 1970. En avril 1971, il cède sa place à Pierre Marois, mais demeure sur le conseil jusqu’au 19 novembre 1973. Dans le domaine journalistique, il est chroniqueur de l’hebdomadaire Québec-Presse de 1971 à 1974.
Publicité de la chronique Jacques Parizeau en liberté tous les dimanches dans le journal Québec-Presse.
Collection Dave Turcotte
Chronique Jacques Parizeau en liberté dans le journal Québec-Presse. 16 avril 1972.
Collection Dave Turcotte
Laurence Richard rappelle qu’en 1972, « Parizeau et Lévesque rédigent un manifeste intitulé : Quand nous serons maîtres chez nous. Les deux auteurs insistent sur l’insuffisance de centres de décision économiques au Québec : “On avait nationalisé les compagnies d’électricité. Un certain nombre de sociétés d’État avaient été mises en place, dans les années soixante. Mais on était encore très loin d’une situation où le plus grand nombre possible de centres de décision économiques seraient mis en place, au Québec, par l’État, par des entreprises privées, par des coopératives, par d’autres formes de regroupements. Il fallait faire resurgir l’idée essentielle que notre développement devait se faire à partir des centres de décision d’ici.” »
Alain Lavigne confit que « de tous les documents publiés par le parti, le manifeste Prochaine étape… quand nous serons vraiment chez nous, publié en 1972, fait figure de véritable “bible” pour Jacques Parizeau. » Au dire de Pierre Duchesne, ce document d’orientation est celui qui intègre le mieux sa pensée politique et économique : « Dix-sept ans plus tard, l’un des premiers gestes qu’il posera une fois élu chef de l’opposition en 1989, sera de retirer des archives le document pour le distribuer à tous les députés élus de son parti. Devenu premier ministre en 1994, Jacques Parizeau ne cessera de puiser dans cette source encore non contaminée par l’étapiste. »
Manifeste Prochaine étape... Quand nous serons vraiment chez nous. Parti Québécois. 1972.
Collection Dave Turcotte
Élection québécoise du 29 octobre 1973
Lors de sa réunion du 7 avril 1973, le conseil exécutif du Parti Québécois de Crémazie propose à l’unanimité la candidature de Jacques Parizeau en vue de la prochaine élection. Le président de l’Association de la circonscription écrit à ce dernier dès le lendemain pour lui en faire la demande officielle. Le 19 juin 1973, Jacques Parizeau est officiellement investi lors du congrès de candidature du Parti Québécois de Crémazie tenue au cégep d’Ahuntsic.
Alain Lavigne précise que l’annonce d’une « élection générale anticipée pour le 29 octobre est faite par premier ministre Robert Bourassa dans un message télévisé préenregistré et diffusé le 25 septembre à 21 h. Comme ce fut le cas à l’élection précédente, Jacques Parizeau demeure une pièce maîtresse de la campagne nationale du PQ. Cette fois, il est candidat dans le nouveau comté de Crémazie, créé à partir des circonscriptions d’Ahuntsic et de Bourassa. Dans le camp péquiste, la confiance et l’optimisme sont au rendez-vous : “Lors de sa première conférence de presse, le chef du PQ, accompagné de Jacques Parizeau, Camille Laurin, Guy Joron et Marcel Léger, voit dans la prochaine campagne électorale la première occasion de prendre le pouvoir et de former le gouvernement, annonçant du même souffle que son parti allait publier un budget de l’an 1 d’un Québec indépendant.” »
Laurence Richard avance qu’un « peu avant les élections, Jacques Parizeau se repose au Mexique avec sa famille quand le Parti québécois décide qu’il faut élaborer le budget de l’an 1 d’un Québec souverain. Bien entendu, c’est à lui que cette mission est confiée, dès son retour de vacances. D’abord, il hésite, puis, bon soldat, il accepte. “On m’a dit d’en faire un, alors j’en ai fait un. J’étais en ta… mais qu’est-ce que vous voulez, ce qu’on a à faire, on le fait.” »
Le 9 octobre 1973, accompagné d’autres têtes d’affiche du Parti Québécois, c’est à Jacques Parizeau que revient la tâche d’expliquer aux journalistes ce budget. Jean-Herman Guay et Serge Gaudreau présentent que le « Parti québécois prend l’initiative de présenter un budget fictif pour 1975-1976, première année d’un éventuel Québec souverain. Tablant sur des coupes dans les chevauchements provinciaux-fédéraux ainsi que sur des réductions de dépenses en matière de défense, l’économiste Jacques Parizeau avance qu’un gouvernement péquiste consacrerait 45 % d’un budget de 12 milliards de dollars aux mesures sociales, tout en dégageant un surplus de 181 millions de dollars. Aux yeux des concepteurs du document, il est “clair que le Québec a les ressources physiques et humaines requises pour être un pays”. Ce budget de l’an 1, qui se voulait un “outil pédagogique pour banaliser la peur de l’inconnu, a un effet boomerang. Plusieurs s’interrogent sur la question de la monnaie, dont le premier ministre Bourassa qui tourne ce budget en ridicule, le qualifiant de ‘créditisme pour intellectuels’ et d’‘exercice comptable qui prouve l’irréalisme de l’option séparatiste’.” »
Alain Lavigne rappelle que « le 19 octobre, un débat télédiffusé à Télé-Métropole oppose Jacques Parizeau à Raymond Garneau, le ministre des Finances sortant, Fabien Roy, du Ralliement créditiste, et Marcel Côté, de l’Union nationale. Ce débat n’arrange pas les choses. Parizeau est mis rapidement sur la défensive par ses opposants. » Pierre Duchesne rapporte que les journaux du lendemain sont unanimes : « Jacques Parizeau s’est offert en pâture. Son armure, un complet trois-pièces, n’a pu le protéger contre les oiseaux carnassiers qui ont tôt fait de le déchiqueter. »
Jean-Herman Guay et Serge Gaudreau ajoutent que « Parizeau, dont les chiffres sont contestés, est sur la sellette. Aux yeux du jeune économiste Daniel Paillé, un futur ministre du Parti québécois, ce n’était plus le ministre des Finances Raymond Garneau “qui défendait ses trois ans d’administration, c’était Parizeau qui défendait son budget de l’an 1”. Un journaliste décrit même l’événement comme une “soirée de lutte à trois contre un, spectaculaire et stérile”. »
« D’après René Lévesque, ce budget est “logique” et même assez “conservateur”. Il constitue un instrument pédagogique “destiné à contrer sinon à guérir un des aspects économiques les plus pernicieux de notre vieux complexe d’infériorité”. […] Rétrospectivement, Jacques Parizeau estime que ce budget était bien fait, mais prématuré sur le plan électoral. », relate Laurence Richard.
Alain Lavigne note que quoi « qu’il en soit, ces distractions à l’échelle nationale n’éloignent pas trop Monsieur de la bataille dans Crémazie, où il est présent quatre jours par semaine et en permanence lors de la dernière fin de semaine. Lors de ses absences, sa conjointe Alice fait du porte-à-porte, notamment pour convaincre ou rassurer les personnes âgées. De plus, un journaliste de La Presse remarque : “Les placards publicitaires du candidat péquiste ont comme slogan : ‘Soyons librement confortables’ et les dépliants distribués traitent avant tout de ‘L’âge d’or du Québec s’en vient’. On y parle des pensions protégées, des transports publics gratuits, des services d’auxiliaires familiales pour les personnes âgées qui désirent demeurer à la maison.” »
Le 29 octobre 1973, le gouvernement libéral de Robert Bourassa obtient 54,7 % et est réélu avec 102 députés sur 110 remportant la plus importante majorité parlementaire dans l’histoire du Québec. Le Parti Québécois bien qu’il augmente ses appuis de 7,2 %, passant à 30,2 % des votes, il perd un siège et ne fait élire que 6 députés. Les 2 autres sièges vont aux créditistes. René Lévesque n’est toujours pas élu député. Jacques Parizeau est défait dans la circonscription de Crémazie par le libéral Jean Bienvenue. Ce dernier est ministre de l'Immigration du 15 février 1972 au 20 janvier 1976 et ministre de l'Éducation du 20 janvier au 26 novembre 1976.
Résultats de l'élection québécoise de 1973 dans la circonscription de Crémazie.
Musée virtuel d'histoire politique du Québec
Partie du dépliant électoral du candidat libéral Jean Bienvenue dans Crémazie. 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
Alain Lavigne soumet que pour plusieurs, Jacques Parizeau est le responsable de la défaite de 1973. « D’abord en raison de sa contre-performance au débat télévisé, mais aussi en étant pointé comme un “technocrate coupé du monde”. Claude Charron, dépliant en main, ira jusqu’à ridiculiser son slogan local “Soyons librement confortables” […]. Profondément meurtri par cet épisode d’attaques personnelles, Parizeau démissionne du comité exécutif [du PQ] le 19 novembre. Mais il n’est pas déçu pour autant de la stratégie et des résultats de 1973 : “Ce qui compte, c’est que nous avons trente pour cent des voix avec une monnaie québécoise all dressed, relish, moutarde ! On a trente pour cent sur quelque chose de pur et dur.” »
Journal Le Jour
Laurence Richard précise que « peu de temps après l’élection de 1973, Jacques Parizeau, René Lévesque et Yves Michaud se rencontrent au restaurant le Bouvillon, à Côte-des-Neiges. Déconcertés, ils cherchent un bon moyen de promouvoir la souveraineté. Michaud suggère de fonder un quotidien prônant la souveraineté du Québec. C’est ainsi que naît Le jour (où nous serons maîtres chez nous), dont Parizeau est le président, Michaud, le directeur, et Lévesque, associé à la rédaction. Lancé le 28 février 1974, Le Jour paraît pendant deux ans et demi, jusqu’au 23 août 1976. […]
Pour plusieurs journalistes du Jour, il importe plus de transformer la société que de faire du Québec un pays souverain. “Pour René Lévesque, Yves Michaud et moi, Le Jour devait faire avancer la cause de la souveraineté. Or on s’est retrouvé devant un bon nombre de gens pour qui le journal devait faire avancer la cause de la révolution sociale. Il y avait maldonne. On ne se comprenait pas, dès le départ.” Au Jour, les journalistes ont énormément de pouvoir. Et Parizeau, Lévesque et Michaud, les “trois fous”, dit le premier, assistent au sabotage de ce qu’ils ont essayé de créer.
Mais le journal connaît surtout des difficultés financières, […] “Jacques et moi, raconte Yves Michaud, on a vécu les affres des campagnes de financement. On a hypothéqué nos maisons pour pouvoir payer des salaires. […] Ça nous inquiétait tous beaucoup.” Jacques Parizeau, père de deux enfants, n’apprécie pas ces risques financiers. “Vraiment, dit Parizeau, c’était effrayant. Ces deux années ont été intenables. Certainement les deux années les plus éprouvantes de ma vie !” Mais Le Jour ne fut pas un échec complet puisque 30 000 lecteurs le lisaient, pratiquement le même nombre que Le Devoir. »
Photographies de Jacques Parizeau, Yves Michaud et René Lévesque lors du lancement du journal Le Jour. 1974.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Photographe Antoine Desilets
LE CANDIDAT
Photographie de Jacques Parizeau entouré de René Lévesque et Camille Laurin lors d'une conférence de presse à la permanence du Parti Québécois, rue Christophe-Colomb à Montréal. Septembre 1970.
Photographe Réal Filion
Élection 1970
Version longue du programme du Parti Québécois issu des congrès de 1968 et 1969. 1970.
Collection Dave Turcotte
Photographie sur laquelle ont peut voir (dans le bas) les affiches de candidats vedettes du parti dont Jacques Parizeau (au centre). 1970.
Collection Dave Turcotte
Congrès 1971
Photographie de Jacques Parizeau entouré de Camille Laurin et René Lévesque au 3e congrès du Parti Québécois tenu au Patro-Rocamadour à Québec. 26 au 28 février 1971.
Collection Alain Lavigne
Fonds Photo Moderne
Photographie de Jacques Parizeau au 3e congrès du Parti Québécois tenu au Patro-Rocamadour à Québec. 26 au 28 février 1971.
Collection Alain Lavigne
Fonds Photo Moderne
Photographie de Jacques Parizeau entouré de Marc-André Bédard, Pierre Bourgault et Pierre Marois au 3e congrès du Parti Québécois tenu au Patro-Rocamadour à Québec. 26 au 28 février 1971.
Collection Assemblée nationale du Québec
Photo moderne enrg.
Photographie de Jacques Parizeau en conférence de presse au 3e congrès du Parti Québécois tenu au Patro-Rocamadour à Québec. 26 au 28 février 1971.
Collection Assemblée nationale du Québec
Photo moderne enrg.
Congrès 1973
Photographie de Jacques Parizeau avec René Lévesque à la table du conseil exécutif national au 4e congrès du Parti Québécois tenu à Laval. 23 au 25 février 1973.
Centre de documentation du Parti Québécois
Élection 1973
Lettre de Roger Allard, président du Parti Québécois de Crémazie, demandant à Jacques Parizeau de se porter candidat dans Crémazie. 8 avril 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
La une ainsi que les pages 4 et 5 du journal Le Québécois de Crémazie. Volume 5, numéro 8. Juin 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
Photographie officielle du candidat péquiste Jacques Parizeau dans Crémazie. 1973.
Centre de documentation du Parti Québécois
Feuillet électoral du candidat péquiste Jacques Parizeau dans Crémazie. 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
Notes manuscrites de Jacques Parizeau sur le budget d'un Québec souverain. 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
Carton de rappel du candidat péquiste Jacques Parizeau dans Crémazie. 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
Télégramme de René Lévesque expédié à Jacques Parizeau et à tous les candidats péquistes la veille de l'élection. 28 octobre 1973.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Jacques Parizeau
Publicité d'une soirée dansante avec le candidat péquiste Jacques Parizeau dans Crémazie. Novembre 1973.
Assemblée nationale du Québec
Collection partis politiques