Fleurdelisé
À quinze heures, le 21 janvier 1948, le fleurdelisé flotte pour la première fois sur la tour centrale de l’Assemblée nationale. Ce jour-là, le premier ministre Maurice Duplessis met fin à plusieurs décennies de débat en accordant au fleurdelisé le statut de drapeau officiel du Québec.
Le drapeau du Québec est généralement désigné sous le nom de drapeau fleurdelisé. Les éléments et les couleurs qui le composent sont présents en Amérique depuis des centaines d’années. La croix blanche sur un champ d’azur rappelle une ancienne bannière de l’armée française, et les quatre fleurs de lys symbolisent la France.
Mais d’où vient la fleur de lys ? La plupart des spécialistes croient qu’il s’agit d’une fleur stylisée, mais sans rapport avec le lis blanc. « La fleur de lys était jadis le symbole du pouvoir de la monarchie en Europe. Mais on en trouve des traces encore plus loin : trois mille ans avant notre ère, on l’utilisait déjà chez les Assyriens comme motif décoratif. L’historien Claude Paulette rappelle que c’est au cours d’un combat à Tolbiac que Clovis aurait échangé les trois crapauds de son bouclier, symboles païens, contre trois fleurs de lys d’or que lui proposait un ange. Le miracle a donné la victoire à Clovis qui a accepté de se faire baptiser, devenant ainsi le premier roi chrétien de la France. […] Elle est apparue progressivement sur les sceaux, les vêtements et les armoiries des rois de France après le sacre de Clovis. ». (Extrait de la brochure « Les 50 ans du fleurdelisé »)
Régime français
À la recherche de terres inconnues « où l’on dit trouver grande quantité d’or et d’autres riches choses », Jacques Cartier explore le golfe du Saint-Laurent. En 1534, à Gaspé, il prend possession du territoire du Québec au nom du roi de France, François 1er. Dans le récit de ses voyages, le navigateur mentionne qu’il plante, à Gaspé en juillet 1534, puis à Québec en mai 1536, des croix portant l’écu de France : trois fleurs de lis d’or sur champ d’azur. C’est ainsi que commence l’histoire de nos drapeaux.
En 1608, Samuel de Champlain fonde Québec. Sur une carte, publiée en 1612, Champlain dessine, aux mâts des voiliers qui y figurent, un pavillon à croix blanche sur fond azur. Sous le régime français, les principaux emblèmes adoptés par les régiments, les bataillons et autres troupes sont : le drapeau blanc et l’écu d’azur arborant trois fleurs de lys d’or. « De l’Acadie à la baie d’Hudson, de la vallée du Saint-Laurent et des Grands Lacs à la Louisiane, on les voit soit séparément, soit ensemble, l’écu figurant au centre du pavillon » selon Jacques Archambault et Eugénie Lévesque. Claude Paulette ajoute que « dès 1665, le drapeau blanc est apparu au Canada, apporté par les soldats du régiment de Carignan. Ceux-ci l’ont hissé sur les forts, comme Sorel et Chambly, qu’ils ont construits pour protéger la colonie des attaques iroquoises ».
Jacques Cartier plante une croix portant l'écu fleurdelisé du roi François 1er à Gaspé le 24 juillet 1534.
Œuvre de Charles W. Simpson. Archives nationales du Canada.
Pavillon bleu du temps de Samuel de Champlain.
Éditeur officiel du Québec
Régime britannique
« En septembre 1759, à la suite de la bataille des Plaines d’Abraham remportée par l’armée britannique, l’Union Jack remplace le drapeau blanc du roi de France sur les remparts de Québec. L’année suivante, la guerre en Nouvelle-France prend fin lorsque le chevalier de Lévis fait brûler ses drapeaux à l’île Sainte-Hélène plutôt que de les rendre aux vainqueurs. En 1763, par le traité de Paris, la France cède officiellement la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne. » (Extrait du fascicule « Le drapeau national »)
En 1774, les treize autres colonies anglaises d’Amérique se rebellent contre la Couronne britannique. En octobre de la même année, le Congrès continental lance aux habitants de la vallée du Saint-Laurent un appel les invitant à épouser leur cause sans trop de succès. Dans une volonté d’union des colonies britanniques du Nord et du Sud, les rebelles américains mettent au point une stratégie d’invasion de la vallée du Saint-Laurent, au printemps de 1775.
Selon Claude Paulette, « en septembre 1775, les Américains assiègent le fort Saint-Jean, qui résistera une quarantaine de jours, avant d’investir Montréal, qui capitule le 12 novembre. Les Américains établissent leur quartier général au château de Ramezay pendant que le gouverneur Carleton, qui a réussi à fuir la ville, va se réfugier dans les murs de Québec qui sera bientôt assiégée. Dans la nuit du 31 décembre, les généraux Montgomery et Arnold tentent contre la basse ville de Québec l’assaut infructueux au cours duquel Montgomery perd la vie. Le siège se poursuit néanmoins jusqu’au 9 mai 1776. Les Américains n’évacueront complètement le territoire qu’à la fin de juin. Ainsi, pendant sept mois, le Grand Union Flag des insurgés américains a flotté officiellement sur Montréal et une bonne part de la province ».
Ancien Union Jack.
Éditeur officiel du Québec
Grand Union flag.
Éditeur officiel du Québec
Gaston Deschênes explique que « le drapeau royal de l'Union (Union Jack) est créé par la superposition du drapeau de l’Angleterre (croix de Saint-Georges rouge sur fond blanc) et de celui de l’Écosse (croix de Saint-André blanche sur fond bleu foncé). En 1801, après l’union de la Grande-Bretagne avec l’Irlande, on y ajouta une croix rouge pour donner à l'Union Jack la forme qu’il conserve aujourd’hui. »
Union Jack.
Wikipédia
Drapeau des patriotes
Une fois passé le choc de la Conquête, le peuple du Québec désire rapidement un drapeau national. Il en est déjà question en 1807. En 1832, des comités régionaux de patriotes choisissent, sans doute influencés par la France, un tricolore, vert, blanc, rouge, en bandes horizontales. Il gagne rapidement la faveur du public. On y ajoute, selon les régions, divers emblèmes : castor, feuille d’érable, maskinongé, aigles, étoiles, devises révolutionnaires.
En 1834, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal adopte ce même drapeau, qui est arboré à toutes les manifestations et aux grandes assemblées politiques. Il devient le drapeau officiel de la révolution de 1837-1838 et flotte lors des combats. Le tricolore est également le drapeau de la république du Bas-Canada proclamée par Robert Nelson, le 28 février 1838 à Caldwell’s Manor, près de Noyan. Puis, sa signification révolutionnaire en provoque l’abandon.
Visitez notre exposition sur la Journée nationale des patriotes.
Drapeau des patriotes.
Collection Dave Turcotte
Bannière « de Carillon »
Claude Paulette rappelle que « le 24 juin 1848, à Québec, le défilé de la Saint Jean-Baptiste est la scène d’un événement qui va créer une sensation dans l’ancien Bas-Canada et que décrit le Journal de Québec du 27 : “Bientôt on aperçut, au milieu des insignes, resplendissant de clarté et de jeunesse, un vieux drapeau français tombant de vétusté. C’est le drapeau sous lequel s’illustrèrent nos pères à la bataille de Carillon, [aujourd’hui Ticonderoga, dans l’État de New York]. On le portait comme une relique précieuse.” Sur ce grand “drapeau” en lambeaux étaient peintes, d’un côté, les armes royales de France avec des fleurs de lis et, de l’autre, une image de la Vierge portant l’Enfant-Jésus. »
Il ajoute que « son possesseur, Louis-de-Gonzague Baillairgé, avocat, affirmait la tenir du frère Louis Martinet, dernier survivant de l’ordre des récollets. Les religieux l’auraient conservée dans leur église après la victoire de Carillon en 1758. […] Baillairgé [le] gardait jalousement et [il] n’a été déployé qu’une fois, en 1848. […] Au décès de Baillairgé, en 1896, ses héritiers purent extraire l’objet de sa gaine et constater qu’il ne s’agissait pas d’un drapeau. […] La dorénavant “bannière” de Carillon est pourtant une relique de la Nouvelle-France, des experts en textile l’ont authentifiée. Elle comporte, par ailleurs, aux pieds de la Vierge, des armoiries, aujourd’hui quasi effacées, d’après lesquelles on peut déduire la date approximative de sa fabrication. Ce blason est celui du marquis de Beauharnois, gouverneur général de 1726 à 1747 ».
Cette bannière dite « de Carillon » est reconnue comme l’ancêtre direct de notre drapeau.
Dessins des deux côtés de la bannière de Carillon.
Éditeur officiel du Québec
Avers : « [D'une couleur inconnue, possiblement blanc crème] à la Vierge Marie d’argent vêtue de gueules, son manteau d’azur, couronnée, nimbée d’étoiles, tenant l’enfant Jésus, debout sur un croissant posé sur un listel, le tout d’argent, inscrit REFUGIUM PECCATORUM [Refuge des pécheurs] en lettres de sable, soutenu des armes de Beauharnois (d’argent à une fasce de sable accompagnée en chef de trois merlettes du même) sommées d’une couronne de marquis, supportées par deux aigles, d’où pend l’insigne de l’Ordre de Saint-Louis, le tout accompagné de quatre fleurs de lis renversées, deux en bande, deux en barre, le tout d’argent. »
Revers : « [D'une couleur inconnue, possiblement blanc crème] aux armes de la France moderne (d’azur à trois fleurs de lis d’or) sommées de la couronne royale de France d’or et environnées de deux branches de palmier du même, liées de gueules, le tout accompagné de quatre fleurs de lis renversées, deux en bande, deux en barre, le tout d’argent. »
Illustrations en couleurs des deux côtés de la bannière de Carillon.
Wikimedia Commons
Par Yapeitso — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Le tricolore français
Après l’abandon du tricolore patriote, les Canadiens français se prirent d’affection pour un autre tricolore, le bleu blanc rouge de la France. Claude Paulette raconte qu’en « 1854, la France et l’Angleterre se retrouvèrent dans le même camp pour affronter une Russie avide de s’agrandir. La guerre de Crimée provoqua au Canada des élans patriotiques dans la population britannique. À l’annonce d’une première victoire franco-anglaise (bataille de l’Alma) en septembre, Montréal et Québec pavoisèrent aux couleurs des deux alliés. […] Au crédit de cette alliance franco-britannique, il faut encore ajouter la visite du premier navire français sur le Saint-Laurent depuis 1760 et les retrouvailles franco-canadiennes. Le 13 juillet 1855, en effet, La Capricieuse, corvette française de 32 canons, entre dans le port de Québec. Cette visite a un extraordinaire retentissement chez les Canadiens français qui ont l’impression de retrouver la mère patrie. […] Au Québec, le tricolore français conserve ses partisans et sa popularité jusque dans la première moitié du XXe siècle, où il tiendra tête à ses concurrents fleurdelisés. Le poète Louis Fréchette s’en fait le défenseur ; il propose d’y ajouter une feuille d’érable. Certains veulent y accoler un castor ; d’autres, le Sacré-Cœur lui-même. »
Drapeau de la France.
Collection Dave Turcotte
Red Ensign
Selon Gaston Deschênes, « à la fin du XIXe siècle, l'Union Jack fit place au Red Ensign qui était, à l'origine, le drapeau de la marine marchande britannique. À ce drapeau rouge qui portait un Union Jack dans le coin supérieur gauche, on ajouta, sur le battant, les armes des provinces canadiennes. Au début du XXe siècle, probablement en 1909, le Red Ensign qui flottait au sommet de la tour de l’Hôtel du Parlement fut remplacé par l'Union Jack. Cette décision gouvernementale, qui fit un certain bruit, survenait au moment où des comités de citoyens actifs à Québec et à Montréal faisait la promotion d’un "drapeau national des Canadiens français" ».
Wikipédia ajoute pourtant que « le 26 mai 1868, la reine Victoria accorda des armoiries au Québec qui, dès ce moment, permirent de créer un drapeau officiel du Québec. Il s'agissait d'un Blue Ensign avec l'Union Jack dans le coin supérieur gauche et les armoiries du Québec à la droite. Il semblerait cependant qu'il fut utilisé très rarement : plusieurs sources, incluant le site du gouvernement du Québec, mentionnent que ce fut l'Union Jack qui flotta au-dessus du parlement jusqu'au 21 janvier 1948 et non le Blue Ensign québécois. »
Illustrations du Red Ensign du Canada avec les armoiries provinciales de 1868.
Wikimedia Commons
Illustrations du Red Ensign du Canada avec les armoiries canadiennes de 1921.
Wikimedia Commons
Par Hoshie
Illustrations du Blue Ensign du Québec avec les armoiries de 1868.
Wikimedia Commons
Par Superbenjamin — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Illustrations du Blue Ensign du Québec avec les armoiries de 1939.
Wikimedia Commons
Par Superbenjamin — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Drapeau de Carillon
L’aube du XXe siècle suscite au Québec une floraison de projets de drapeau. Le 26 septembre 1902, à Saint-Jude en Montérégie, le curé Elphège Filiatrault hisse sur son presbytère un drapeau qu’il a lui-même confectionné et qui ressemble à celui de Carillon : « champ bleu orné de quatre fleurs de lys inclinées et dont les pointes sont orientées vers le centre ». L’abbé Filiatrault, originaire de Saint-Athanase (Saint-Jean-sur-Richelieu) propose « un drapeau nouveau pour un peuple nouveau ». Ce drapeau reçoit un accueil enthousiaste.
En 1903, des comités sont formés au Québec pour l’étude d’un drapeau national. Les membres ajoutent au drapeau de l’abbé Filiatrault une image du Sacré-Cœur entourée de feuilles d’érable. Ils l’appelèrent le Carillon-Sacré-Cœur. Claude Paulette rapporte qu’à « Montréal s’organise une grande campagne de promotion : publication d’un volume de 300 pages justifiant le choix, impression de brochures, de cartes postales, vente d’insignes, d’écussons et de drapeaux de divers formats. Le “Carillon-Sacré-Cœur” gagne rapidement la faveur de tous les milieux canadiens-français du Canada et des États-Unis. Mais le créateur du drapeau ne partage pas cet enthousiasme. Appuyé par une bonne fraction de l’opinion publique, l’abbé Filiatrault s’oppose à ce que l’on fusionne deux emblèmes différents, “l’un de la religion, comme le Sacré-Cœur, l’autre de la patrie, comme les couleurs de Carillon”. » Il est tellement populaire qu’en novembre 1926, l’Assemblée législative, dans une loi, le donne pour emblème à la Société Saint-Jean-Baptiste.
La présence d’un emblème religieux sur le drapeau contribue cependant à entretenir des hésitations. En 1935, pour favoriser l’adhésion, on propose la suppression du Sacré-Cœur. L’idée gagne des appuis au grand dam du clergé. Dès lors, il commence à se faire appeler : « fleurdelisé ».
À la suite du travail du député Sylvain Rochon, de la municipalité de Saint-Jude et de la famille Girouard, qui durant des années, a pris soin de ce drapeau, le 21 janvier 2017, à l'occasion du jour du Drapeau, le ministre Luc Fortin émet un avis d’intention de classement pour l’ancêtre du drapeau du Québec. Le drapeau de Carillon est classé depuis 2018 objet patrimonial.
L'abbé Elphège Filiatrault est né à l'angle nord-est de la 1re rue et de la 5e avenue à Saint-Athanase (Saint-Jean-sur-Richelieu), le 27 novembre 1850. Un parc porte d'ailleurs son nom tout près, sur le bord de la rivière Richelieu, face à l'église Saint-Athanase.
Auteur inconnu
Logo de la municipalité de Saint-Jude intégrant une partie du drapeau de Carillon conçu par l'abbé Elphège Filiatrault.
Municipalité de Saint-Jude
Photographie de la plaque commémorative en hommage à l'abbé Elphège Filiatrault. Municipalité de Saint-Jude.
Collection Dave Turcotte
Photographie du drapeau de Carillon qui flotte au vent. Municipalité de Saint-Jude.
Collection Dave Turcotte