Pierre-Joseph-Olivier Chauveau
1er premier ministre du Québec
15 juillet 1867 au 27 février 1873
Conservateur
L’homme
Comme l’écrit le Mémorial du Québec, « tout comme les bonnes nouvelles dans les journaux, il est rare qu’en Histoire, les gens bonasses fassent la Une dans la mémoire des peuples. Qu’un homme politique soit mêlé à un scandale, se révèle un chef de guerre ou aille en prison, à coup sûr, le voilà promis à la postérité. Mais s’il se contente d’être un politicien bien tranquille, voire même un homme-orchestre dans les emplois gouvernementaux, il y a de fortes chances pour que tout le monde l’oublie. Tel est le cas, en l’occurrence, du 1er premier ministre de la province de Québec, à qui pourtant le sort avait donné le privilège rare d’innover un gouvernement et de prendre la tête d’un État tout neuf qui devait faire parler de lui pendant longtemps : le Québec. »
À la question, « Qui a été le tout premier premier ministre de l’histoire du Québec ? », seulement 6 % des 1021 Québécois sondés ont su répondre : Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. C’est du moins ce que la firme Léger Marketing a constaté dans un sondage réalisé il y a 10 ans pour le compte de la Coalition pour l’histoire et de la Fondation du Prêt d’Honneur.
« Qui se souvient de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau ? Le nez droit et bien planté, les yeux un peu encaissés sous des arcades sourcilières légèrement bombées, le front haut, accentué par des favoris, la bouche un peu tombante, un confortable double menton, Pierre-Olivier Chauveau, dans le temps de sa gloire, avait tout à fait l’air d’être ce qu’il était : un bon bourgeois. Homme sérieux et fort en thème, quelque peu rêveur et pas trop contrariant, travailleur, il faisait son possible. Homme paisible, en ces temps où l’éclat était presque une nécessité politique, Pierre-Olivier Chauveau a pourtant réussi. Il a accédé à différents postes en vue, justement parce qu’il semblait l’homme du compromis. Avec lui, pas d’histoires, se disait-on. En ce sens, il est tout à fait unique dans la genèse politique du Québec ». C’est ainsi que le Mémorial du Québec présente Chauveau.
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau est né à Charlesbourg (Québec), le 30 mai 1820. Son père Pierre-Charles est marchand et sa mère, Marie-Louise Roy, est issue d’une famille de notables de Québec. La famille Chauveau est l’une des plus anciennes de Charlesbourg. Le père de Chauveau décède alors que ce dernier n’a que 4 ans. Sa mère, veuve, revient vivre chez son père, Joseph Roy, riche commerçant de grain habitant à l’angle des rues Sainte-Anne et du Trésor, à Québec. Chauveau connaît une enfance « excessivement choyée », profitant des soins attentifs de sa mère, de ses deux tantes, de sa grand-mère et de son grand-père.
Il fréquente l’école élémentaire située près du jardin du Fort, sur les plaines d’Abraham. De 1829 à 1837, il poursuit ses études au Petit Séminaire de Québec. Dans ce milieu privilégié, il étudie aux côtés du futur cardinal, Elzéar-Alexandre Taschereau (oncle de Louis-Alexandre Taschereau, 14e premier ministre du Québec), de son fidèle ami, Luc Letellier de Saint-Just et de son futur collègue, Joseph-Édouard Cauchon. Doté d’un talent littéraire, il s’avère un élève brillant. À dix-sept ans, il choisit le droit plutôt que la prêtrise. Il apprend le droit dans les bureaux de ses oncles, Louis-David Roy et André-Rémi Hamel, avocat général du Bas-Canada, et après au cabinet de Me George Okill Stuart où il apprend à maîtriser la Common Law ainsi que la langue anglaise. Il est admis au Barreau le 30 août 1841. Son oncle Louis-David Roy l’invite alors à se joindre à son cabinet. Il exerce le droit avec lui jusqu’au 24 décembre 1849. Il s’associe ensuite avec Philippe Baby Casgrain.
Illustration d'Elzéar-Alexandre Taschereau, collègue de classe de Chauveau et archevêque de Québec, d'après une photographie de J. E. Livernois. John B. Magurn Publisher.
Collection Dave Turcotte
Livre Letellier de Saint-Just et son temps ayant probablement appartenu à l'ancien premier ministre du Québec Félix-Gabriel Marchand et sauvé de l'incendie du journal Le Canada Français en 1988. 1885.
Société d'histoire du Haut-Richelieu
Collection Journal Le Canada Français
Illustration de Joseph-Édouard Cauchon, collègue de classe de Chauveau et homme politique québécois, d'après une photographie de W. J. Topley. John B. Magurn Publisher.
Collection Dave Turcotte
Le 22 septembre 1840, il épouse Marie-Louise Massé, fille d’un marchand de Québec. De cette union, 7 enfants voient le jour : Marie-Anne-Louise-Flore (1842-1871), Marie-Caroline-Olympe (1844-1855), Pierre Rémi-André-David (1845-1920), Charles-Thomas-Xavier-Alexandre (1847-1916), Marie-Luce-Marguerite-Éliza (1849-1875), Marie-Catherine-Henriette-Adéline (1851-1870), Marie-Esprit-Honorine (1854-1938).
En plus de sa pratique du droit, il est journaliste, biographe, poète, romancier, historien, bibliophile, professeur et administrateur. En 1838, à l’âge de 18 ans, Le Canadien publie son premier poème, L’Insurrection, à propos de l’héroïsme des patriotes. En 1840, il participe à sa première assemblée politique contre le projet d’union des deux Canadas suite à la publication du rapport Durham. Il s’oppose à l’Acte d’Union, qui était à ses yeux « un acte d’oppression politique » et une « opération financière », comme il l’a souligné dans l’Union des Canadas ou la fête des banquiers, poème paru dans Le Canadien en 1841. De fil en aiguille, il apprend l’art oratoire en défendant des idées libérales et en s’opposant au colonialisme. Chauveau publie plusieurs lettres dans les journaux, dont Le Courrier des États-Unis. Il dénonce l’état moyenâgeux dans lequel est plongée la colonie, à la fois dominée par le mercantilisme et l’influence du clergé. Il souhaite contribuer à l’éveil de son peuple. Il est l’un des fondateurs de la Saint-Jean-Baptiste de Québec en 1842 et de la Société canadienne d’études littéraires et scientifiques en 1843. Il est aussi le répondant à Québec de l’association La Délivrance qui vise à soutenir le rapatriement des patriotes exilés en Australie. Pour cette cause, il sillonne les paroisses de Québec pour recueillir des fonds ce qui le fait connaître et dire par plusieurs qu’il a tout d’un bon député.
Le Dictionnaire bibliographique le décrit comme suit : « Gai, spirituel, il aime séduire et briller. Il se plaît en la compagnie des intellectuels et des bons livres. Il est fougueux, mais sans grande fermeté. Son esprit encyclopédique, servi par une mémoire fidèle, est bien meublé. […] Ce jeune homme instruit et au fait des événements a un avenir. Il se sent un littéraire, mais il sait qu’il vit dans un pays où l’homme instruit doit se résigner à vivre dans l’univers “des scrupules [prêtre], des chicanes [avocat] [ou] des maladies [médecin]” ».
L’historien Gilles Gallichan résume son implication ainsi : « Il se nourrit au mouvement romantique français, valorise l’éducation et, pour l’avenir national, il ne mise pas seulement sur une revanche des berceaux, mais aussi sur une revanche des cerveaux ». Gallichan ajoute qu’il « prends souvent la parole, donne des conférences où il s’affiche comme un démocrate qui salue les progrès que la Révolution française a amenés, mais il admire aussi le régime de monarchie constitutionnelle dans lequel il voit l’ordre uni et la liberté. On dit de lui que c’est un jeune homme fier, un brin vaniteux, mais courtois, fin causeur et aimant la vie en société ».
L'HOMME
Portrait de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau enfant. Wm. Notman & Son. Copie réalisée en 1885.
Chauveau est élevé dans la famille de son grand-père Roy, dans cette maison à l'intersection des rues Sainte-Anne et du Trésor. Il hérita de cette maison du Régime français en 1851. Il y vécut tout son mandat de premier ministre. De sa demeure, Chauveau n’avait que quelques pas à faire pour se rendre au parlement, alors situé en haut de la côte de la Montagne. Il y finira aussi ses jours.
Carte postale illustrant ladite maison devenue plus tard le Musée de cire de Québec, mais qui est aujourd'hui fermé.
Collection Dave Turcotte
Portrait de Marie-Louise-Flore Masse, épouse de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Notman. Vers 1870.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Portrait d'Olympe et Flore Chauveau, filles de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau réalisé par Théophile Hamel. 1851-1852.
Musée national des beaux-arts du Québec
PRIMEUR
Pièce présentée pour la première
fois
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (coin supérieur gauche), son fils Pierre Chauveau (coin supérieur droit), le fils de Pierre, Alexandre Chauveau (coin inférieur gauche) ainsi que le plus vieux fils d'Alexandre, Pierre Chauveau (coin inférieur droit). Ce dernier n'a pas eu d'enfant.
Mosaïque de photos de la famille Chauveau.
Prêt de la famille Chauveau
Fédéric Ozanam, sa vie et ses œuvres par Pierre Chauveau, fils, avec une introduction de son père, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. 1887.
Collection Dave Turcotte
Le député
Élu député de Québec en 1844
En 1844, dans une élection en pleine crise de la responsabilité ministérielle, Chauveau est approché par les partisans de Louis-Hippolyte La Fontaine. Il se lance et milite pour le gouvernement responsable, l’éducation, le développement économique et la création industrielle pour contrer l’émigration vers les États-Unis. Sa campagne commence le 1er octobre 1844, devant l’église Saint-Roch, à Québec. Chauveau résume son programme en une phrase : « Le plus grand bien du plus grand nombre ». Il mène une dure campagne à un redoutable adversaire, le vieux routier John Neilson. Les élections se déroulent du 24 septembre au 12 novembre 1844. À 24 ans, Chauveau remporte la circonscription avec une majorité de près de 1 000 voix, mais son « parti » est à l’opposition avec La Fontaine.
Le 28 novembre 1844, les 56 députés du Canada-Uni se réunissent à Montréal pour la première session de la 2e législature. Cette législature compte trois sessions :
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Première session : du 28 novembre 1844 au 29 mars 1845
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Deuxième session : du 20 mars au 9 juin 1846
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Troisième session : du 2 juin au 28 juillet 1847
C’est une nouvelle vie qui débute pour Chauveau. Il découvre pour la première fois une nouvelle ville, Montréal. Il doit s’habituer à vivre loin de sa famille qui est restée à Québec. Il faut comprendre qu’en raison des distances et des moyens de transport de l’époque, il n’est pas possible pour les députés de faire des allers-retours les fins de semaine pour retourner dans leur circonscription auprès de leur famille.
Aucune expérience politique, il tente d’apprendre les bases de ses nouvelles fonctions en observant et écoutant ses collègues. L’historien Georges Aubin rapporte des propos de Chauveau à ce sujet : « la Revue canadienne, publiée par [Louis-Octave] Letourneux, contient des extraits des discours de la chambre, “mais les députés ont parfois de ces surprises”. Par exemple, nous dit Chauveau, “dans le discours de Cauchon, il y a une demi-colonne qui n’a jamais été prononcée. C’est le plus beau morceau.” […] Le carnet mondain de Chauveau est bien meilleur que tous ses discours. Lui-même trouve que les discours en Chambre sont “passablement ennuyeux”, que “tout le monde [y] fait de la diplomatie”. Le jeune député de Québec, élu depuis 1844, s’est vite modelé à l’image de ses coéquipiers, et il avoue, le 27 mars : “J’ai dit quelques mots très diplomatiques pour ma part ; si diplomatiques que j’ai bien de la peine à me rappeler de ce que j’ai dit. Je verrai cela dans les journaux.” »
Siégeant à l’opposition dans ce mandat, il attaque le gouvernement : dénonce la corruption, les aberrations de la carte électorale, la vitalité économique de Québec (jusqu’à s’opposer parfois à des collègues montréalais) et les injustices subies par les Canadiens français. Le Dictionnaire biographique nuance ceci : « Chauveau ne s’avère pas homme de parti ; il adopte l’attitude du libre penseur qui agit avant tout selon ses principes et se porte de préférence à la défense des grandes causes, laissant à d’autres les querelles partisanes. Il n’est donc pas un allié inconditionnel de La Fontaine. En tant que citoyen originaire de la ville de Québec, il se méfie de La Fontaine et des Montréalais qui l’entourent. Leurs divergences reflètent la vieille rivalité entre Québec et Montréal, qui, pour un temps, divise le parti réformiste ».
Buste de Louis-Hippolyte La Fontaine réalisé par le sculpteur Louis-Philippe Hébert. 1885.
Collection Dave Turcotte
Réélu député de Québec en 1847 sans opposition
À sa deuxième élection, il siège dans les banquettes ministérielles grâce à la victoire du tandem La Fontaine-Baldwin. Le Parti réformiste forme le Cabinet, mais au grand dam de Chauveau, il n’y est pas nommé. L’auteur Jacques Lamarche raconte que « les réformistes ont le vent dans les voiles et Lord Elgin (gouverneur général) invite les deux chefs Baldwin et La Fontaine à former à nouveau un solide ministère. Tout est en place le 11 mars. Ce soir-là, le député de Québec (Chauveau) laisse la porte de sa chambre entrouverte à l’hôtel. Il est assuré que le chef de cabinet du nouveau premier ministre viendra bientôt lui rendre visite. II a même revêtu son bel habit, fait presser le pantalon et les dentelles. On ne se rend pas remercier un chef d’État en haillons. La visite attendue, la veille, n’est pas venue. Monsieur La Fontaine est surchargé d’ouvrage, il lui donnera sûrement signe de vie aujourd’hui. “Tu vas aux noces ?” lui demande Joseph Cauchon descendu dans le hall de l’hôtel confier son article pour le Journal de Québec à un messager. Lorsque Le Canadien et La Minerve publient la composition du nouveau Conseil exécutif et la liste des ministres, Olivier Chauveau, interloqué, incrédule, étouffé de surprise et de colère en n’y retrouvant pas son nom, ressent les effets d’une crise cardiaque ou presque. Habitué à tout recevoir sans effort depuis son entrée, à quatre ans, dans la grande maison de son grand-père, Olivier Chauveau ne peut comprendre l’ingratitude, l’oubli, l’omission de son chef. “L’enfant choyé” avait même prévenu sa femme, en quittant la rue Sainte-Anne, la semaine d’avant, qu’il reviendrait à Québec aussi “honorable” que leur ami le maire Caron. II tombe de haut, lui qui s’est propulsé au sommet sans y être invité ».
Le Dictionnaire biographique confirme que « la formation du nouveau cabinet réformiste fera cependant des mécontents : Louis-Joseph Papineau qui, de retour d’exil, convoitait la présidence à l’Assemblée législative et Chauveau qui souhaitait détenir un portefeuille sont tous deux frustrés dans leurs espoirs. S’estimant l’un des artisans de la victoire et le porte-parole naturel des citoyens de la région de Québec, Chauveau pique une colère d’enfant gâté. Ses amis l’empêchent de justesse de démissionner comme député. Chauveau reste en fonction, mais on le sent ulcéré ».
Durant ce mandat, Chauveau appuie le gouvernement sur certains points et lui fait opposition sur d’autres. L’expansion du chemin de fer sera un dossier important qu’il poussera au parlement de concert avec son nouveau collègue George-Étienne Cartier. Tout en étant député, il agira à titre de correspondant parlementaire pour le journal Le Canadien dès 1848.
La première session de la 3e législature de la province du Canada se déroule à Montréal. Cette législature compte quatre sessions :
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Première session : du 25 février au 23 mars 1848
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Deuxième session : du 18 janvier au 30 mai 1849
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Troisième session : du 14 mai au 10 août 1850
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Quatrième session : du 20 mai au 30 août 1851
Le soir du 25 avril 1849, des émeutiers anglophones protestent contre la loi sur l’indemnisation des personnes qui ont subi des pertes pendant la rébellion de 1837-1838 au Bas-Canada. Ils se rendent au marché Sainte-Anne où siège le parlement. Ils font du grabuge, lancent des pierres sur l’édifice. Plusieurs d’entre eux réussiront même à entrer dans le parlement pour poursuivre le saccage. Les députés tentent de s’enfuir, mais ils se font lancer des œufs pourris et certains se font prendre à partie. Les manifestants se faufilent dans le parlement et allument quelques foyers d’incendie. Cette nuit-là, le parlement sera complètement détruit. La capitale se déplace vers Toronto où siègera le Parlement pour les autres sessions de cette législature.
Réélu député de Québec en 1851 sans opposition
Aux élections de novembre et décembre 1851, Chauveau est réélu sans opposition. Désirant faire entrer au gouvernement des députés jouissant d’une bonne notoriété et popularité dans la région de Québec, le nouveau Cabinet de Francis Hincks et Augustin-Norbert Morin le nomme :
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Solliciteur général du Bas-Canada, sans siège dans le cabinet, du 12 novembre 1851 au 30 août 1853
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Conseiller exécutif et Secrétaire provincial du Canada du 31 août 1853 au 10 septembre 1854
Ministre, il doit dorénavant faire preuve de plus de docilité. Il soutient le programme du parti, qui souhaite l’abolition du régime seigneurial et rendre électif le Conseil législatif. Il est président de l’Institut canadien de Québec en 1851 et 1852.
La capitale déménage à Québec et le parlement y siège pour la 4e législature de la province du Canada dans un bâtiment tout neuf. Cette législature compte deux sessions :
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Première session : du 19 août 1852 au 14 juin 1853
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Deuxième session : du 13 juin 1854 au 22 juin 1854
Cependant, la première session est ajournée du 10 novembre 1852 au 13 février 1853 en raison d’une épidémie de choléra à Québec. Malheureusement, Chauveau y perd en quelques jours sa mère, sa grand-mère Roy et sa belle-mère Masse.
Réélu député de Québec en 1854 sans opposition
Les alliances politiques se font et se défont. Malgré les changements dans les coalitions, le nouveau Cabinet Macnab-Morin le maintient :
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Conseiller exécutif et Secrétaire provincial du Canada du 11 septembre 1854 au 26 janvier 1855
Le parlement de Québec accueille les députés pour la première session de la 5e législature de la province du Canada.
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Première session : du 5 septembre au 18 décembre 1854 et du 23 février au 30 mai 1855
Dans la nuit du 1er au 2 février 1854, un incendie accidentel se déclare dans le nouveau parlement de Québec. Le parlement déménage dans la chapelle des sœurs de la Charité qui passe au feu lui aussi le 3 mai 1854. En désespoir de cause, les députés doivent siéger dans la salle de l’Académie de Musique, rue Saint-Louis et les conseillers législatifs au palais de justice.
En janvier 1855, le nouveau Cabinet d’Allan Napier MacNab et d’Étienne-Paschal Taché lui retire sa charge ministérielle pour la confier à son complice George-Étienne Cartier. Chauveau écrit à son ami l’abbé Hospice-Anthelme Verreau : « On a peine à s’expliquer comment tout cela s’est passé et comment on s’y est pris (disons le mot) pour nous mettre à la porte Chabot et moi. […] On ne m’a pas offert de faire partie de la nouvelle administration — on m’a offert la présidence de la commission pour la révision des statuts avec une sorte d’entente que je serais après nommé juge ». Dans son édition du 3 juillet 1855, Le Pays, journal du parti rouge et hostile à Chauveau, publie : « Si l’honorable Chauveau n’avait pas été si négligent et si paresseux quand il était ministre, qu’on lui avait donné le sobriquet de ‘minimum’, il n’aurait pas été délesté de son portefeuille ».
Le Dictionnaire bibliographique explique que « la perte de son portefeuille ministériel est un dur coup porté à la vanité de Chauveau, de même qu’à sa situation financière. Bien que Letellier de Saint-Just lui fournisse des clients, ses émoluments d’avocat ne suffisent pas à boucler le budget de la famille qui connaît des heures sombres durant cette période. En 1852, la mort lui ravit sa grand-mère, sa mère et sa belle-mère. Sa fille Olympe souffre de tuberculose et Annette, une autre de ses filles, ne va pas bien. Son épouse connaît des moments de découragement. Lui-même se fait du souci pour ses fils Pierre et Alexandre qui sont au collège. L’abbé Verreau, confident de la famille, s’efforce d’adoucir ses malheurs en lui prêtant de l’argent, en réconfortant son épouse et en veillant sur les enfants au pensionnat. Ces misères sont tenues secrètes. En public, Chauveau projette l’image d’un homme à qui tout a réussi ».
Illustration de George-Étienne Cartier, complice de Chauveau et homme politique québécois, d'après une photographie de W. J. Topley. John B. Magurn Publisher.
Collection Dave Turcotte
LE DÉPUTÉ
Illustration de l'incendie du parlement à Québec dans la nuit du 1er au 2 février 1854. On peut y voir des gens tenter de préserver des livres du brasier en les lançant par les fenêtres. Une motion de remerciement à l'archevêque de Québec, au clergé et aux messieurs du Séminaire de Québec sera d'ailleurs adoptée le 14 décembre de la même année, pour avoir aider à sauver la bibliothèque du parlement.
La UNE de L'Illustration, journal universel du 25 février 1854.
Collection Dave Turcotte
Le Parlement itinérant
Enveloppe d'une lettre postée le 16 avril 1861 de l'Assemblée législative de la province du Canada adressée possiblement à Freeman Nye, marchand de Lacolle et frère de Elizabeth B. Nye, deuxième épouse de Robert Hoyle, député de L'Acadie de 1830 à 1834.
Collection Dave Turcotte
Chauveau a souvent écrit sur l’idée nationale. Dans sa conférence « M. Chauveau et l’idée nationale », l’abbé G. Bourassa, sous principal de l’école normale Jacques-Cartier tente de tracer un portrait de la position de Chauveau sur la question. Cette conférence est présentée devant l’Association des instituteurs de la circonscription de l’école normale Jacques-Cartier à l’occasion de sa centième conférence, le 24 janvier 1895.
M. Chauveau et l’idée nationale, conférence faite par M. l’abbé G. Bourassa.
Collection Dave Turcotte
Le surintendant
Nommé surintendant de l’Instruction publique en 1855
George-Étienne Cartier connait assez Chauveau pour savoir qu’il est amer et meurtri dans son orgueil. L’auteur Jacques Lamarche affirme que « quoiqu’en eut pensé [Chauveau], [Cartier] n’avait pas oublié son protégé. Cartier ne laisse donc pas tomber son collègue des chemins de fer. Avant même que le docteur Jean-Baptiste Meilleur, le 19 juin 1855, ait remis sa démission comme surintendant du bureau d’Éducation, Cartier a vu l’ouverture ; il dispose, à son bureau, des notes de Chauveau qui avait suivi de près les travaux d’enquête et des demandes du surintendant. Il sait en outre que le gouvernement n’a pas communiqué à l’Assemblée tous ces dossiers. L’affaire se règle en moins d’une semaine. George-Étienne Cartier se rend voir le député Chauveau, lui explique son projet, obtient l’assentiment du premier ministre et se fait fort d’obtenir la nomination requise devant l’Assemblée ».
Lamarche ajoute : « Flatteur ou rhéteur, Cartier gagne la partie. Le député Olivier Chauveau démissionne le premier juillet. Comme ni le Dominion ni la Confédération n’existent au Canada en 1855, il n’y a pas de fête nationale ce jour-là. Le lendemain, l’Honorable Olivier Chauveau devient monsieur le surintendant et, s’empresse de quitter Toronto. En plein été, il gagne Québec avant de préparer à son tour un déménagement familial vers Montréal. La nouvelle se répand en vitesse du cap Diamant à Charlesbourg, de Saint-Roch à Sainte-Anne, rue de la Fabrique chez Joseph, Jacques et Octave Crémazie, les amis applaudissent ; les abbés Jean-Baptiste Ferland et Raymond Casgrain, les poètes Pamphile Le May et Louis Fréchette se joignent à Antoine Gérin-Lajoie et François-Xavier Garneau pour féliciter leur ami. Au Séminaire, les anciens professeurs se réjouissent de cet honneur. La Société Saint-Jean-Baptiste décide, derechef, de faire d’une pierre deux coups : elle avait planifié pour cet été les transferts des restes “des braves de la bataille de Sainte-Foy aux plaines d’Abraham”, elle propose à son ancien président de prononcer le grand discours de circonstance et, en même temps, “de faire ses adieux à Québec” ».
Chauveau fait ses adieux à Québec en prononçant un discours éclatant lors de cette cérémonie, tenue le 18 juillet 1855. Inspiré par la beauté du décor, la grandeur de l’événement remémoré et l’émotion de la foule (10 000 personnes), il prononce un discours d’une passion et d’une éloquence rarement égalées qui consacre sa réputation d’orateur.
Lamarche explique que l’ancien surintendant Meilleur « de parfaite bonne foi, mais doté d’un caractère
exécrable selon les témoignages unanimes de ses contemporains, tente de bonifier et clarifier la loi [mettant en place un véritable système d’éducation dans le Bas-Canada]. Les critiques fusent de toutes parts dans les paroisses et, revenant à la Chambre, les députés s’en font les haut-parleurs. Si bien que le gouvernement, en 1853, mandate une commission de l’Assemblée législative pour faire enquête sur le système, les lois et bien sûr le surintendant. Le secrétaire provincial, l’Honorable Olivier Chauveau hérite de ce dossier qui attire de sévères remontrances au docteur Meilleur qui voudrait bien répliquer, mais n’en a pas l’occasion. L’Assemblée tranche, fort satisfaite d’accepter la démission du docteur Meilleur. À l’automne 1855, le surintendant reprend donc là où s’était arrêté le secrétaire, mais Chauveau dispose de deux atouts majeurs : primo, douze années d’expérience à la Chambre des députés lui permettent de faire appel aux gens les plus qualifiés mieux placés pour “piloter” ses projets ; secundo, ancien ministre et compagnon d’armes de conseillers législatifs autant d’exécutifs, il sait à quelle porte frapper pour faire débloquer les budgets requis. De plus, monsieur Chauveau est habitué à présider de prestigieuses associations ; il connaît l’importance et les avantages de la communication. N’a-t-il pas lui-même entretenu d’excellentes relations avec la presse malgré leurs tendances différentes ».
L’auteure Hélène Sabourin met en contexte ceci : « Surintendant depuis 1842, Meilleur était un excellent pédagogue, entièrement dévoué à sa tâche. Il avait pris au début de l’Union un système d’éducation publique complètement désorganisé après les événements de 1837-1838, l’avais structuré et remis en marche. […] On a pu croire que son successeur n’aurait qu’à poursuivre un travail bien entrepris. Plusieurs, en effet, n’ont vu en Chauveau que le continuateur efficace d’un prédécesseur remarquable. Mais la conception qu’a Chauveau de l’éducation est fondamentalement différente de celle de Meilleur. Il la voit comme un processus permanent, englobant à peu près toutes les sphères de l’activité humaine, alors que Meilleur là conçoit strictement dans le cadre d’une formation scolaire formelle. Chauveau considère du devoir de l’État de veiller à l’instruction et à l’éducation générale. Meilleur est enclin à confier un plus grand rôle à l’Église ».
L’historien Gallichan relate que « la tâche est lourde, car le taux d’analphabétisme est alors d’environ 60 % au Québec. Il établit une uniformité dans les programmes scolaires. Il améliore le salaire des instituteurs et s’assure de leur formation et de leur compétence en instaurant des inspections d’écoles. Sa connaissance des coulisses du pouvoir va l’aider dans ses fonctions. Un courant d’opinion publique favorise une réforme de l’éducation. En 1857, il crée le Journal de l’instruction publique, périodique pédagogique destiné aux enseignants. Il fonde une bibliothèque, et il travaille à améliorer le financement des collèges et des universités. Pour la formation des maîtres, il fonde trois écoles normales ».
À titre de surintendant, poste qu’il occupe jusqu’en 1867, Chauveau donne une véritable impulsion à l’enseignement, voulant faire de l’école un foyer d’éducation en même temps qu’un centre de développement intellectuel. Il voit aussi à la création des trois premières écoles normales importantes, à l’implantation d’un « important réseau d’inspecteurs qui contribueront, par leur compétence et leur dévouement, à rehausser le niveau d’enseignement ». Il instaure la Caisse de retraite des instituteurs ainsi que le Conseil de l’instruction publique en 1859.
En 1866 et 1867, il effectue un voyage en Europe et aux États-Unis pour étudier les systèmes d’éducation. Le Dictionnaire biographique résume ce voyage ainsi : « Le 10 octobre 1866, dans le but “de donner toute la perfection possible [au] système d’instruction publique”, le conseil du même nom recommande à Chauveau de visiter l’Europe et les États-Unis. Le 12 novembre, il s’embarque à bord de l’Austrian en compagnie de Cartier et de John Alexander Macdonald. Lui va chercher des idées, eux vont à Londres faire ratifier le projet de la confédération. Après avoir séjourné en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne et en France, Chauveau revient le 18 juin 1867, fier d’avoir constaté que le Bas-Canada n’était pas si arriéré dans le domaine de l’éducation, et riche d’une expérience dont il entend faire profiter ses compatriotes. Il a surtout retenu les efforts de plusieurs pays d’Europe pour développer un enseignement qui prépare les jeunes au commerce et à l’industrie. En matière d’agriculture, l’exemple de l’Irlande l’inspirera dans un projet visant à doter les écoles normales d’une ferme modèle ».
LE SURINTENDANT
En 1857, on assiste au lancement du Journal de l’Instruction publique, organe officiel du département de l’Instruction publique.
Chauveau en assume la direction et la rédaction quasi intégrale jusqu’en 1867.
Journal de l'Instruction publique Vol. 1, no 1 (Janvier 1857)
Collection Dave Turcotte
Journal de l'Instruction publique Vol. VI, no 1 (Janvier 1862)
Collection Dave Turcotte
Journal de l'Instruction publique Vol. IX, no 1 (Janvier 1865)
Collection Dave Turcotte
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau fonde en 1859 le Conseil de l'instruction publique.
Histoire du Conseil de l'instruction publique de la province de Québec 1856-1964.
Livre de l'historien Louis-Philippe Audet publié aux Éditions Leméac en 1964.
Collection Dave Turcotte
Après avoir lui-même siégé à l'Assemblée législative, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau doit à son tour rendre compte de son travail à titre de surintendant de l'Instruction publique aux députés.
Rapport du surintendant de l'éducation pour le Bas-Canada pour 1862.
Collection Dave Turcotte
À l'époque de Chauveau, le Château Ramsay héberge les bureaux de la surintendance. Le Château Ramezay est le premier édifice à être classé monument historique par le gouvernement du Québec en 1929. Reconnu comme lieu historique national du Canada en 1949, ce musée montréalais présente des collections et des expositions qui permettent aux visiteurs de s’initier à plus de 500 ans d’histoire. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, le Château connaît différents usages qui marquent son histoire et contribuent à son importance historique.
Version anglaise du catalogue du Château de Ramezay (Musée et galerie de portraits)
Collection Dave Turcotte
À titre d'ancien surintendant puis ministre de l'Instruction publique, Chauveau trace un portrait de l'éducation au Canada dans ce livre qui étonnamment le contenu a été publié tout d'abord en allemand dans l'Encyclopédie de l'Instruction publique.
L'Instruction publique au Canada, précis historique et statistique par Pierre-Joseph-Olivier Chauveau publié en 1876.
Collection Dave Turcotte
Le premier ministre
À Londres, la reine Victoria autorise les colonies britanniques de l’Amérique du Nord à former le nouveau Dominion du Canada. Le 22 mai 1867, le vicomte Monk, gouverneur-général du Canada-Uni, proclame la fin de l’Union du Bas et du Haut-Canada et fixe au 1er juillet de la même année, l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution comptant quatre provinces. Nombreux considèrent l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) comme un compromis « acceptable » face à l’Union « imposé ».
L’AANB obtient d’abord un vote majoritaire, bien qu’il soit serré, chez les députés francophones. Qualifié à tort de confédéral, ce pacte a l’appui non négligeable de l’église catholique qui est au cœur de la société canadienne-française de l’époque. Les conservateurs militent pour, les libéraux contre. Le chef libéral Antoine-Aimé Dorion milite en 1864 contre, mais, dès que ce projet devient réalité, il y adhère. Le député libéral Wilfrid Laurier s’inscrit dans la même trajectoire, il va même jusqu’à y adhérer assez fermement pour en devenir l’incarnation en devenant le 7e premier ministre du Canada. En fait, la véritable opposition à l’AANB provient de la Nouvelle-Écosse qui a fait élire 18 députés anti-confédération sur 19 lors du scrutin fédéral de 1867.
Illustration de Antoine-Aimé Dorion, chef du Parti libéral et Premier ministre du Canada-Est en 1858 et de 1863 à 1864, d'après une photographie de W. J. Topley. John B. Magurn Publisher.
Collection Dave Turcotte
Narcisse Fortunat Belleau abandonne son poste de premier ministre du Canada-Uni pour devenir lieutenant-gouverneur de la province de Québec. Les conservateurs sont la principale force politique du pays à ce moment. John A. Macdonald devient le premier premier ministre du Canada le 1er juillet et son lieutenant George-Étienne Cartier, le politicien le plus influent au Québec, joue un rôle majeur dans la désignation du 1er premier ministre du Québec.
L’auteur Hélène Sabourin raconte ainsi comment Chauveau est devenu premier ministre du Québec sans réellement le vouloir. « Le lieutenant-gouverneur du Québec, sir Narcisse Belleau, demande officiellement à [Joseph-Édouard] Cauchon, maire de Québec et politicien aguerri, de former le premier cabinet provincial. Or, le député de Sherbrooke, A. T. Galt, vigoureux défenseur des intérêts des protestants, met Cauchon en demeure de réaliser la promesse de Cartier — fait publiquement — de garantir à la minorité anglo-protestante du Québec la quasi-autonomie de son réseau scolaire. Cauchon refuse. Du coup, aucun député protestant ne veut faire partie de son cabinet. C’est l’impasse. Cartier, Langevin et Galt se tournent vers P.-J.-O. Chauveau qu’ils savent plus souple. Il hésite. Le 11 juillet, Cartier avise Langevin que leur poulain “aura besoin d’être encouragé pour s’exécuter”. […] Cette difficulté est double : il y a, d’une part, le salaire “y attaché” — et l’on sait que les questions d’argent empoisonnent la vie de Chauveau — et, d’autre part, une hésitation compréhensible a quitté le monde de l’éducation alors qu’il rentre d’un voyage d’études dont le fruit risquerait d’être perdu. […] Cartier croit avoir la solution : “Dans la prochaine session, […] il faudra rendre le surintendant ou plutôt le ministre d’éducation (comme Chauveau veut l’appeler) capable d’occuper sur un plan de ministre.” Chauveau fini par accepter et parvient en trois jours à former un cabinet ». Il devient le 1er premier ministre de l’histoire du Québec.
Le Mémorial du Québec souligne qu’il « devint premier ministre sans avoir été élu, mais simplement choisi par le parti fédéral. En 1867, même si le Québec reprenait les frontières et les formes de l’ancien Bas-Canada, non seulement il n’y avait pas de parti provincial — et cela prendra du temps avant qu’il s’en forme un spécifique — mais encore il fallait tout instaurer. Avant de commencer à revendiquer pour le Québec, il fallait d’abord s’occuper des compétences que l’Acte de l’Amérique Britannique du Nord attribuait aux provinces. Dans la conception politique d’alors, un gouvernement provincial valait tout juste un peu plus qu’un gouvernement municipal ; la carrière politique se faisait à Ottawa. Les places ministérielles étaient tellement peu courues qu’un des successeurs de Chauveau, Boucher de Boucherville, se retrouva avec six ministères en plus de la charge de premier ministre ».
L’historien Marcel Hamelin relate cependant que : « L’Écho du Peuple, un journal rempli d’admiration pour Médéric Lanctôt, révèle que le prestige de Chauveau dépasse largement, en 1867, les cadres du parti conservateur : “M. Chauveau est pour nous une gloire nationale, c’est peut-être l’homme le plus propre à rallier les partis et à animer d’un même esprit de patriotisme les Canadiens malheureusement pendant trop longtemps divisés. La haute intelligence jointe au tact local essentiellement française, et qui, si on le veut, sera toujours le boulevard et le soutien de notre race, le rempart inexpugnable contre lequel viendront se briser les tentatives hostiles de nos ennemis” ».
Pour l’essayiste Jacques Lamarche, à son insu, Chauveau « avait préparé sa nomination en 1859 en invitant le député de Brome, Christopher Dunkin, à siéger au Conseil de l’instruction publique. Les deux hommes se côtoyaient et s’appréciaient déjà depuis plusieurs années lorsque le projet de Confédération, vers 1864-1865, devient de plus en plus imminent. Lors d’une réunion ordinaire des 15 membres du Conseil, Dunkin et Chauveau établissent clairement que l’éducation relèverait de la juridiction de chacune des provinces, que “les droits et privilèges des minorités seraient intangibles”. […] Il semble fort naturel, après l’échec de Joseph Cauchon, que l’amitié qui lie les deux collègues Dunkin et Chauveau se prolonge. Le premier ministre ne renie pas le surintendant : il invite immédiatement son collègue de l’instruction publique au ministère. Christopher Dunkin inaugure ainsi une longue tradition (un siècle) : les anglophones se succèdent au poste de ministre des Finances. Chauveau en délogera même le candidat Gédéon Ouimet (2e premier ministre du Québec) pressenti par Cauchon comme trésorier provincial ».
À 13 h, le 15 juillet 1867, les membres du premier Conseil des ministres de l’histoire du Québec sont assermentés à la résidence du lieutenant-gouverneur :
Cabinet de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, 1er premier ministre du Québec :
CHAUVEAU, Pierre-Joseph-Olivier : Premier ministre, président du Conseil exécutif, Instruction publique, Secrétaire et Registraire
ARCHAMBEAULT, Louis (Conseil législatif) : Commissaire de l'Agriculture et Travaux publics
OUIMET, Gédéon : Procureur général
IRVINE, George : Solliciteur général
BEAUBIEN, Joseph-Octave (Conseil législatif) : Commissaire des Terres de la Couronne
DUNKIN, Christopher : Trésorier
BOUCHER DE BOUCHERVILLE, Charles-Eugène (Conseil législatif) : Président du Conseil législatif
Pour l’historien Marcel Hamelin, ce premier Cabinet est « sans grandes vedettes et d’aspect plutôt terne. Seul le premier ministre a déjà fait partie de l’Exécutif sous la constitution précédente et seul Dunkin a apporté une contribution remarquée à l’élaboration de la Confédération. Les ministres n’ont pas été choisis pour leur éloquence, leur expérience parlementaire, leur habilité dans l’administration. Les critères de sélection ont été la rentabilité électorale et la représentation des régions, des groupes religieux et des ethnies. […] Les circonscriptions aux environs de Montréal, les Cantons de l’Est, la région de Québec et le Bas-du-Fleuve ont leurs représentants au cabinet. Cette représentation géographique s’inspire de l’organisation électorale du parti conservateur. Ouimet, Archambault et Boucherville établissent la stratégie électorale des ministériels dans la région de Montréal ; Beaubien anime les troupes conservatrices dans le Bas-du-Fleuve ; Chauveau et Irvine sont les porte-parole de la région de Québec alors que Dunkin veille sur les intérêts des Cantons de l’Est. La région de Saint-Hyacinthe, un empire libéral, et le district de Trois-Rivières ne sont pas représentés au cabinet. À partir de la deuxième session, les Trifluviens réclameront une représentation au ministère […]. Le district de Trois-Rivières devra pourtant attendre jusqu’en 1873 pour avoir voix au chapitre. Le cabinet de Chauveau ne comprend que des membres de professions libérales : quatre avocats, un notaire et deux médecins. Les cultivateurs n’ont pas accès au ministère. Mais c’est l’absence des hommes d’affaires qui soulève le plus de critiques ».
Élu député conservateur de Québec à l’Assemblée législative en 1867 sans opposition
Après sa nomination, Chauveau regroupe rapidement quelques greffiers et commis pour former un « embryon » de fonction publique et il prépare ses troupes en vue des élections générales à venir. La première élection générale du Québec après la Confédération se déroule dans les mois d’août et septembre 1867. Son ami François Évanturel lui cède sa circonscription de Québec que Chauveau connait bien l’ayant représenté de 1844 à 1855. En raison du petit nombre de candidats présentés par le Parti libéral (47 sur 65), Chauveau est réélu sans grande opposition et le Parti conservateur remporte 51 des 65 sièges à l’Assemblée législative. Quelques députés libéraux lui donnent un peu plus de fil à retordre. Principalement, Henri-Gustave Joly de Lotbinière qui agit, en quelque sorte, à titre de chef de l’opposition, et deviendra plus tard le 4e premier ministre du Québec. Il y a aussi le nouveau député de Saint-Jean, Félix-Gabriel Marchand qui sera deux décennies plus tard, le 11e premier ministre du Québec.
Portraits des premiers ministres Henri-Gustave Joly de Lotbinière et Félix-Gabriel Marchand.
Collection Dave Turcotte
Durant ce mandat, Chauveau agit à titre de :
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Premier ministre du Québec et président du Conseil exécutif du 15 juillet 1867 au 27 février 1873
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Secrétaire et Registraire de la province du 15 juillet 1867 au 27 février 1873
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Ministre de l’Instruction publique du 15 juillet 1867 au 27 février 1873
Ce cumul de charges lui vaut un revenu annuel de 4 750 $ en 1867. En comparaison, en 2020, le salaire du premier ministre du Québec est de 196 193 $.
Le 28 décembre 1867, Chauveau prononce le premier discours du trône de l’histoire québécoise. Sur le site Je me souviens, François Drouin le résume ainsi : « Il salue d’abord l’espoir que suscite la nouvelle constitution et rappelle l’importance des responsabilités du Parlement québécois. Chauveau poursuit en appelant ses collègues à la prudence dans l’adoption de dépenses tant que la question de la dette du Bas et du Haut-Canada n’est pas réglée. Cependant, le premier ministre souligne la nécessité de pourvoir rapidement à l’organisation de l’État québécois. Il affirme aussi l’intérêt de son gouvernement pour la colonisation et l’éducation. Il conclut son discours dans un langage typique de la politique de l’époque : “J’implore la divine Providence pour qu’elle daigne bénir vos travaux, et vous combler vous et vos familles de tous ses bienfaits pendant la nouvelle année qui va commencer et durant laquelle nous sommes appelés à poser les bases de la grandeur et de la prospérité de notre province de Québec, si chère à nous tous” ».
La première session du parlement s’ouvre le 27 décembre 1867. Tout est à construire. Le gouvernement adopte les lois qui jettent les bases de la fonction publique, qui ne compte que 92 employés. Le nouveau gouvernement du Québec n’a ni locaux ni fonctionnaires. Avec les déménagements à répétitions du parlement et les incendies de ceux de Québec, le premier gouvernement du Québec n’a pas les installations adéquates pour répondre à ses besoins. De plus, bon nombre de fonctionnaires compétents ont fait le choix d’aller travailler pour le nouveau gouvernement fédéral. Il est difficile pour un gouvernement de prendre des décisions lorsqu’il ne peut compter sur personne pour les appliquer.
Sur le plan des finances publiques, un grand ménage est fait par le ministre des Finances. Les revenus du gouvernement du Québec de l’époque sont d’environ 1,5 million $ dont un peu plus de 900 000 $ provient du transfert fédéral. Les dépenses sont de l’ordre d’un peu plus de 1 million $ dont 275 000 $ pour l’éducation, 300 000 $ pour la législature et le fonctionnement du gouvernement et environ 225 000 $ pour les terres de la Couronne, les travaux publics, l’agriculture et la colonisation. Seule ombre au tableau du ministre Dunkin — et Chauveau — : le partage de la dette. L’essayiste Jacques Lamarche explique cet enjeu ainsi : « Dès 1867, la Confédération veille à répartir entre les provinces les dettes du Canada-Uni liquidé. Pas toutes les provinces du Canada, car le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse refusent d’assumer la moindre partie des dettes approuvées par le Québec et l’Ontario. Pourtant, ces deux nouvelles provinces ont contribué à cet endettement, ne serait-ce que par les emprunts nécessaire à les relier par chemin de fer au Nouveau Dominion. […] Une commission d’arbitrage est à l’œuvre et, trois ans plus tard, répartit un montant de dix millions et demi à payer entre l’Ontario (5,6 millions $) et le Québec (5 millions $). Les premières prévisions budgétaires québécoises laissaient un fardeau possible de trois millions. L’épée de Damoclès est demeurée suspendue au-dessus de la tête du premier ministre Chauveau et de son ministre des Finances de 1867 à 1870. Le montant connu, l’Honorable ministre des Finances, Christopher Dunkin, file à Ottawa, au ministère de l’Agriculture ; Olivier Chauveau reste pris avec le paiement complet. La façon dont les Pères de la Confédération ont réglé les problèmes financiers est fort rudimentaire ».
Lors de la deuxième session, tenue en 1869, le département des Terres de la couronne est créé puis celui de l’Agriculture et des Travaux publics. C’est dans ce mandat que Chauveau crée le ministère de l’Instruction publique qu’il aurait aimé nommé ministère de l’Éducation. À titre de ministre, il poursuit sa lutte pour rendre accessible l’éducation pour tous. Ce « champion de l’instruction publique » rencontre beaucoup d’obstacle de la part du clergé, de l’opposition libérale, mais aussi de ses propres rangs. Malgré tout, il réussit à manœuvrer et à obtenir des résultats intéressants.
Élu député conservateur de Québec à la Chambre des communes le 7 août 1867 sans opposition
Élu aussi, sans opposition, député de Québec à la Chambre des communes, il est assermenté le 20 septembre 1867. À cette époque, le double mandat, c’est-à-dire de siéger dans les deux parlements simultanément, était permis et fréquent. Il est quand même particulier de constater que le premier ministre du Québec, étant aussi député à Ottawa sans y être ministre, doit s’assoir, bien modestement, à l’arrière-ban avec les simples députés. On peut en dire autant de son complice George-Étienne Cartier, qui est le numéro 2 du gouvernement fédéral, doit lui aussi siéger parmi les simples députés lorsqu’il siège au parlement de Québec n’y étant pas ministre. Autre conséquence du double mandat, il n’est pas possible pour les deux parlements de siéger en même temps. C’est ce qui explique que la première session du parlement de Québec débute seulement le 27 décembre 1867 soit, après la prorogation du parlement fédéral. La pratique du double mandat est finalement abolie en 1874.
Réélu député conservateur de Québec à l’Assemblée législative en 1871
Le pouvoir use. Dès 1869, Chauveau décline. Henry-Gustave Joly de Lotbinière, chef de l’opposition libérale, le critique ouvertement et certains journalistes font de lui une cible de premier choix. Les élections de 1871, beaucoup plus dures que celles de 1867, lui donnent une majorité sur laquelle il ne peut s’appuyer, divisée qu’elle est par des intérêts locaux. Cauchon défend la région de Québec, Langevin, celle du Bas-Saint-Laurent, et Cartier, celle de Montréal.
Dans ce mandat il occupe les fonctions de :
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Premier ministre du Québec et président du Conseil exécutif du 15 juillet 1867 au 27 février 1873
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Secrétaire et Registraire de la province du 15 juillet 1867 au 27 février 1873
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Ministre de l’Instruction publique du 15 juillet 1867 au 27 février 1873
L’historien Gallichan résume son mandat de premier ministre ainsi : « Chauveau est élu avec une forte majorité, de 54 sièges sur 65, mais il comprend vite qu’il est entouré de tuteurs et de censeurs. D’abord, il y a le gouvernement fédéral et le Parti conservateur […]. Viennent ensuite le clergé et l’Église qui surveillent l’éducation ; la haute finance anglo-saxonne, représentée dans son cabinet par Christopher Dunkin, le trésorier de la province ; et, enfin, un caucus agité de politiciens dont certains sont ambitieux et affamés de patronage et de prébendes. Les grands problèmes auxquels fait face son gouvernement sont le partage de la dette avec l’Union. Il fallait en effet partager les dettes entre le nouveau gouvernement fédéral et les gouvernements du Québec et de l’Ontario. Le résultat de ce partage coûtera très cher au Québec. Il doit aussi mettre sur pied une fonction publique, car la plupart des fonctionnaires ont préféré conserver un emploi au niveau fédéral et ils désertent Québec pour Ottawa. […] Chauveau est aussi confronté au problème de l’émigration de plus en plus forte vers les États-Unis, laquelle se poursuivra, faute de leviers économiques. Le gouvernement québécois tentera d’adopter des expédients tels les chantiers de chemins de fer et la colonisation afin de conserver la main-d’œuvre au pays et de convaincre les ouvriers et agriculteurs de ne pas partir pour les usines de textiles de la Nouvelle-Angleterre ».
Fait intéressant à souligner, au cours de ce mandat, son fils Alexandre Chauveau est élu député conservateur de Rimouski lors de l’élection partielle du 29 avril 1872. Il occupe d’ailleurs la fonction de solliciteur général du 8 mars 1878 au 30 avril 1879, mais étonnamment dans le cabinet d’Henri-Gustave Joly de Lotbinière, du premier ministre libéral et… ancien adversaire de son père.
Réélu député conservateur de Québec à la Chambre des communes le 20 juillet 1872
En 1873, Chauveau doit faire face à des factions au sein de son gouvernement. L’historien Gallichan ajoute que « Chauveau se sent malheureux et mal à l’aise dans cette fonction de premier ministre. Il se sent dépassé par une vie politique astreignante et difficile sans avoir les moyens réels pour s’attaquer aux racines profondes des problèmes ». Chauveau va même déclarer « Je vois moins clair devant moi que jamais dans les affaires personnelles et politiques ». Endetté et surchargé, il démissionne de ses deux sièges de député le 25 février 1873.
Dans son livre Histoire politique de la province de Québec, Charles-Marie Boissonnault décrit le premier ministre Chauveau ainsi : « Le portrait de l’homme de lettres que les circonstances et des qualités exceptionnelles conduisirent à la tête de la première administration provinciale du Québec, est assez difficile à brosser. Il s’agit ici de sa carrière politique, et ce n’était pas un homme d’État, ou plutôt, ce n’était pas un chef politique. Il était trop intelligent pour ne pas se rendre compte des besoins de l’heure. Il était trop cultivé, trop renseigné pour ne pas pouvoir résoudre les graves questions d’une manière satisfaisante. Ce qui lui manquait, c’était l’art de conduire les hommes, l’art d’imposer sa volonté. Quel que soit le régime, un chef doit toujours être un dictateur : il doit avoir l’envergure nécessaire, pour imposer ses vues, une fois qu’il s’est rendu compte de ce qui doit être fait pour le plus grand bien du pays qu’il administre. M. Pierre-Joseph-Olivier Chauveau ne savait manœuvrer ni en Chambre, ni dans les comités, ni même au Conseil. C’est ce qui fit sa faiblesse au bout de quelques années d’administration comme cela lui avait permis de rallier tous les suffrages quand il s’était agi de remplacer le poste laissé vacant par M. Joseph-Edouard Cauchon ».
LE PREMIER MINISTRE
Macaron du premier ministre du Québec Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Production Le Macaronier. Vers 1980.
Collection Dave Turcotte
Illustration de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau d'après une photographie de W. Notman. John B. Magurn Publisher.
Bibliothèque et Archives nationale du Québec
Illustration des membres du cabinet Chauveau, des conseillers législatifs et des députés. Assemblée législative du Québec. 1869.
Collection Alain Lavigne
En décembre 1869, un épisode peu connu s’est déroulé dans les coulisses de l’Assemblée législative à Québec. Il illustre la grande peur que certains Anglo-Protestants de cette époque entretenaient face à la majorité francophone. Le fragile gouvernement Chauveau a alors subi l’assaut d’un petit groupe de conservateurs anglo-montréalais qui souhaitait prendre le contrôle de l’État québécois naissant et ramener la capitale de Québec à Montréal. George-Étienne Cartier et Pierre-Joseph-Olivier Chauveau sont parvenus à étouffer cette fronde et à rassurer l’opinion quant à l’avenir de la cité de Champlain comme capitale de la province de Québec.
Vidéo de l'historien Gilles Gallichan racontant l'anecdote.
Société des Dix
Un exemplaire des Statuts de la province de Québec passés dans la trente-cinquième année du règne de Sa Majesté la reine victoria et dans la première session du deuxième parlement commencée et tenue à Québec, le septième jour de novembre, en l'année de notre seigneur mil huit cent soixante-et-onze.
Statuts de la province de Québec. 7 novembre 1871.
Collection Dave Turcotte
Le parlement itinérant
PRIMEUR
Pièce présentée pour la première
fois
Canne qui aurait été remise à Pierre-Joseph-Olivier Chauveau par son épouse. On peut y lire : « Hon P.J.O. Chauveau, Québec 1873 ».
Prêt de la famille Chauveau
Le sénateur
Représente la division de Stadacona au Sénat du 20 février 1873 jusqu’à sa démission, le 8 janvier 1874
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau tente d’être nommé lieutenant-gouverneur à Québec, mais sans succès. Il vise donc le Sénat et il sera désigné :
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Président du Sénat du 21 février 1873 au 8 janvier 1874.
Ironiquement, Chauveau est devenu premier ministre du Québec lorsque Joseph Édouard Cauchon n’a pu former un gouvernement. Quelques années plus tard, il est à son tour incapable de maintenir son gouvernement et il va « succéder » à Cauchon à la présidence du Sénat, poste qu’il a occupé peu de temps avant.
En novembre 1873, le gouvernement du premier ministre canadien Macdonald démissionne pour une affaire de pots-de-vin dans l’attribution de contrats pour le chemin de fer du Pacifique. Chauveau est remplacé à la présidence du Sénat dès l’arrivée du nouveau gouvernement d’Alexander Mackenzie. Il remet sa démission comme sénateur.
Candidat conservateur défait dans Charlevoix aux élections fédérales du 22 janvier 1874
Lors de cette élection, l’arpenteur Pierre-Alexis Tremblay lui inflige une défaite. Chauveau se retrouve sans emploi et doit encore s’endetter. Sa femme décède en mai 1875. Il contacte Elzéar-Alexandre Taschereau, archevêque de Québec, afin que l’Église encourage son retour en politique. La lutte avec les ultramontains l’empêche cependant de récolter les appuis nécessaires. Le premier ministre conservateur Charles-Eugène Boucher de Boucherville tente même de lui offrir un poste de juge de paix pour le tenir loin de son gouvernement. Il songe à se présenter candidat dans Dorchester, mais abandonne le projet avec le décès de sa fille Éliza. Cette dernière tentative marque la fin définitive de sa carrière politique. Il se remet à l’écriture.
Nommé au Conseil de l'instruction publique
En 1873, Chauveau répond à la demande de son successeur Gédéon Ouimet, 2e premier ministre du Québec et ministre de l’Instruction publique, en acceptant un siège comme simple membre du comité catholique au Conseil de l’instruction publique. En 1875, quand Charles-Eugène Boucher de Boucherville, devenu 3e premier ministre du Québec, décide d’abolir le ministère de l’Instruction publique et de recréer le poste de surintendant, Chauveau tente sa chance. Le nouveau premier ministre refuse. Ironiquement, c’est celui qui l’a remplacé à titre de premier ministre, Gédéon Ouimet, qui hérite de la fonction de surintendant de l’Instruction publique. Répondant aux volontés du Clergé, le gouvernement du premier ministre Boucher de Boucherville opère un désengagement dans le domaine de l’éducation. L’héritage de Chauveau est n’y plus ni moins en lambeaux.
Nommé shérif de Montréal
Sans emploi depuis plus d’un an et criblé de dette, il est nommé au sein de la Commission du Havre de Québec en mars 1876, il en devient le président en avril. Cependant, Chauveau espère un poste beaucoup plus prestigieux. En septembre 1877, le premier ministre Charles-Eugène Boucher de Boucherville lui offre celui de shérif de Montréal. Il accepte, faute de mieux, et occupe le poste jusqu’à sa mort. Il a pour responsabilité de nommer les jurés, d’exécuter les saisies, d’imposer les amendes, de veiller à l’exécution des jugements, et il voit à l’administration des prisons.
Nommé doyen de la faculté de droit de l'Université Laval
En 1878, il est approché pour un retour en politique active, mais il se dit « trop chargé de dettes et trop meurtri » par les expériences passées. La même année, il se joint à la faculté de droit de l’Université Laval à Montréal en tant que professeur de droit romain. Il semble bien s’entendre avec ses collègues professeurs qui tentent de l’entraîner dans leurs conversations politiques. Il semble être moins populaire auprès de ses élèves qui le chahutent et envoient même une pétition au recteur. « Monsieur Chauveau manque de méthode et s’arrête pour rien sur d’insignifiants détails qu’on pourrait régler en un tour de main », disent les jeunes pressés par la vie. Le recteur « oublie » de répondre à cette missive et le laisse en poste. Il agit à titre de doyen de 1884 à 1890.
LE SÉNATEUR
Portrait restauré de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, président du Sénat du Canada de 1873-1874, réalisé par Eugène Hamel. 1874.
Collection Sénat du Canada
Portrait de Gédéon Ouimet, 2e premier ministre du Québec.
Collection Dave Turcotte
Portrait de Charles-Eugène Boucher de Boucherville, 3e premier ministre du Québec.
Collection Dave Turcotte
Bannière en hommage à Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, shérif de Montréal de la part des religieuses du Bon Pasteur de la rue Fullum.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
PRIMEUR
Pièce présentée pour la première
fois
Pot qui aurait été remis à Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (ou à sa famille) pour souligner sa contribution comme Shérif de Montréal à titre posthume.
Prêt de la famille Chauveau
L’écrivain
En 1876, il publie le livre qu’il avait promis de faire en 1866, L’Instruction publique au Canada, ouvrage fort savant et documenté. Cette publication lui restitue son auréole d’homme de lettres. Ce qui amène tout naturellement le gouverneur-général à le nommer vice-président de la Société Royale du Canada, dès sa fondation. Vice-président puis président de la Société royale du Canada entre 1881 et 1884, il renoue avec la plume de sa jeunesse. Voici quelques-unes des principales œuvres de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau :
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L’insurrection dans le journal Le Canadien du 6 avril 1838.
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Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes. Cherrier, Montréal, 1853.
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L’abbé Jean Holmes et ses conférences de Notre-Dame. Québec, 1876.
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L’Instruction publique au Canada — Précis historique et statistique. Augustin Côté, Québec, 1876.
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Souvenirs et légendes. Côté, Québec, 1877.
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François-Xavier Garneau, sa vie et ses œuvres. Beauchemin et Valois, Montréal, 1883.
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Études sur les poésies de François-Xavier Garneau et sur les commencements de la poésie française au Canada, Montréal, 1884.
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Le Dies Irae. Nouvelles soirées canadiennes, Montréal, 1886.
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Donnacona, Montréal, 1889.
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Bertrand de la tour ou l’Ancien chapitre de Québec suivi des Plaines d’Abraham. Lévis, 1898.
Le « défenseur de la connaissance »
L’historien Gallichan résume la carrière de Chauveau ainsi : « Quand on regarde P.-J.-O. Chauveau depuis sa jeunesse choyée et les ardeurs patriotiques de ses 20 ans jusqu’à l’homme politique déstabilisé et l’homme de lettres hyperactif, on a l’impression de voir un homme dont le destin s’est écarté de ses goûts profonds. Il n’avait certes pas l’étoffe d’un politicien roué ou d’un chef d’État fort et habile. Trop sensible et trop délicat envers ses adversaires, voulant être aimé et admiré, il a été déstabilisé par sa droite (les ultramontains) et par sa gauche (les Libéraux conservateurs). À la tête des conservateurs du Québec, il n’a pas réussi à dégager son parti de la puissante tutelle fédérale, ni à faire taire les factions régionales qui le divisaient. Politiquement, il donne l’impression du taureau devenu bœuf. Quoique le taureau lui-même n’était pas bien effrayant. En fait, c’était un diplomate et un poète à qui on a demandé de mener des batailles. Une part de son héritage a néanmoins survécu dans l’esprit qui a animé son œuvre éducatrice. Son idéal pour l’éducation se retrouve au sein de la commission Parent qui, en 1961-1964, réformait le système que Chauveau avait mis en place au XIXe siècle et auquel personne n’avait osé toucher depuis ce temps. Chauveau avait une vision démocratique de l’éducation ouverte à tous et accessible. Ce sont plus les compromis qu’on lui a imposés que son système lui-même qui se sont mal adaptés aux réalités du XXe siècle ». Hélène Sabourin conclut son livre en disant : « Il est frappant de constater la rapidité avec laquelle P.J.O. Chauveau a été oublié. Qui le connaît aujourd’hui, en dehors des cercles érudits ? Ceux qui ont travaillé, en 1875, à défaire ce qu’il avait fait ont du même coup, presque volontairement, précipité dans l’oubli cet homme qui a été du XVIIIe siècle par sa culture, du XIXe par son action et du XXe par la modernité de sa vision ».
Pour sa part, le Mémorial du Québec conclu en rappelant que, « respectueux des traditions établies, touchant un peu à tout et homme cultivé, Pierre-Olivier Chauveau incarna l’image de l’honnête homme tel qu’on le définissait au 19e siècle. Le temps des technocrates n’était pas arrivé. Pierre-Olivier Chauveau fut, version
bourgeoise, Québécois moyen, à cela près qu’il fut le seul de son espèce à arriver au pouvoir. Et encore, bien malgré lui ! »
Atteint de paralysie, il décède à son domicile du Vieux-Québec, le 4 avril 1890, à l’âge de 69 ans et 10 mois. Il est inhumé dans la chapelle des Ursulines, en la paroisse Notre-Dame, le 8 avril 1890.
Il est désigné « personnage historique » par le ministre de la Culture et des Communications le 1er novembre 2012.
L'ÉCRIVAIN
Réédition de l'œuvre Charles Guérin : roman de mœurs canadiennes écrit par Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. FIDES. 1978.
Collection Dave Turcotte
Autre époque, autre crise sanitaire
En 1846, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau préside le comité qui se penche sur la contestation de l’élection du comté d’Oxford, dans le Haut-Canada. Les députés membres du comité y sont toujours absents, le comité ne peut siéger. Chauveau profite de l’occasion pour écrire son roman Charles Guérin : roman de mœurs canadiennes, un des premiers romans de mœurs de l’histoire du Québec. En 1847, il se réfugie à L’Islet durant l’épidémie de typhus. Il traitera d’ailleurs de ce sujet dans son roman :
« À toutes les heures du jour, les chars funèbres se dirigeaient vers la nécropole (cimetière Saint-Louis) ; mais le soir c’était une procession tumultueuse, une véritable course aux tombeaux […]. Les Irlandais étaient à peu près les seuls à former des convois à la suite des dépouilles de leurs parents et ou de leurs amis. »
Ce roman reprend des feuilletons publiés de façon anonyme, entre février 1846 et mars 1847 dans l'Album littéraire et musical de La Revue canadienne. Le roman est publié en 1852.
Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne compilé et publié par James Huston en 1848 incluant plusieurs œuvres de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau.
Collection Dave Turcotte
Collection Pierre-Joseph-Olivier Chauveau
Dès l'âge de 16 ans, Chauveau commence à monter sa bibliothèque qui deviendra l'une des plus riches parmi les bibliothèques personnelles québécoises de son époque et une des seules qui nous soient parvenues. Dans son testament, Chauveau demande que sa collection soit vendue pour « 7 000 piastres » à l’Université Laval et, en cas de refus, pour « 8 000 piastres » au gouvernement du Québec. En 1890, dans une motion unanime, l’Assemblée convient d’acheter la collection Chauveau. Cette acquisition permet à la Bibliothèque législative de combler les pertes subies lors de l’incendie de 1883.
Le fascicule La bibliothèque de l’Assemblée nationale publié par cette institution, explique que « la collection constitue un panorama de l’histoire du livre depuis l’origine de l’imprimerie, tant en Europe qu’au Québec. On y trouve notamment des incunables, des ouvrages publiés au tout début de l’imprimerie et une collection impressionnante des plus anciens ouvrages publiés au Canada. Elle comprend 3664 volumes répartis en 3013 titres (1591 brochures et 1422 ouvrages reliés) ».
Selon le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, la collection subit des détériorations et des pertes importantes au cours du XXe siècle. « Les ouvrages en consultation générale sont les plus touchés, alors que les incunables et certains ouvrages canadiens et historiques sont conservés précieusement dans le bureau du directeur de la bibliothèque. Dans les années 1970, la bibliothèque de l’Assemblée nationale entreprend de réunir les ouvrages de la collection de Chauveau, à partir notamment des catalogues manuscrits qu’il a dressés. Ce processus de mise en valeur et de sauvegarde s’achève au cours des années 1999 et 2000. De nos jours, la bibliothèque de l’Assemblée nationale possède environ la moitié des volumes acquis en 1892 ».
La collection Pierre-Joseph-Olivier Chauveau est le plus ancien fonds documentaire de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec et est classée bien national en 2003 par le gouvernement du Québec.
Dépliant Entre savoir et pouvoir : la collection de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Assemblée nationale du Québec. 2014.
Collection Dave Turcotte
Catalogue de l'exposition La Collection de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau Premier ministre du Québec (1867-1873). Bibliothèque de l'Assemblée nationale du Québec. 1978.
Collection Dave Turcotte
Don Alain Lavigne
Lieux de mémoire
Carte interactive
Découvrez (virtuellement) les régions du Québec à travers la vie de nos premiers ministres. Cette carte interactive vous fera découvrir où ils sont nés, où ils ont habités, étudiés, travaillés ainsi qu’où ils sont décédés et enterrés. Elle indique aussi les quelques musées à visiter, les monuments en leur honneur ainsi que les lieux rappelant leur mémoire par la toponymie. Cette carte est loin d’être exhaustive. Elle sera toujours en développement.